1. PROLOGUE

Dans son homélie du 29 Juin 1995 dans la basilique Saint-Pierre de Rome, en présence du patriarche de Constantinople Bartholomée 1er, le pape Jean-Paul II a exprimé le désir que soit clarifiée «la doctrine traditionnelle du Filioque, présent dans la version liturgique du Credo latin, pour pouvoir mettre en lumière sa complète harmonie avec ce que le concile oecuménique de Constantinople, en 381, confesse dans son Symbole: le Père comme source de la Trinité, seule origine du Fils et du Saint-Esprit». Le 13 septembre de la même année, le «Conseil pontifical pour la promotion de l'Unité des chrétiens» répondait à ce désir en publiant dans l'Observatore romano une «Clarification» intitulée «Les traditions grecque et latine concernant la procession du Saint-Esprit» (texte traduit dans La documentation catholique n° 2125 du 5 Novembre 1995, p. 941-945).

Ce texte a suscité l'enthousiasme et l'adhésion immédiate de théologiens orthodoxes réputés proches des positions latines. La Documentation catholique (n° 2130 du 21 Janvier 1996, p. 89-90) s'est empressée de publier, sous le titre «Vers une vision commune du Mystère trinitaire», les réflexions du Ñ. Boris Bobrinskoy, ïù, bien que faisant part de quelques réserves, il affirme: «Lisant ces lignes, on pourrait s'étonner que la question reste encore posée d'un désaccord dogmatique entre nos Églises» (p. 89). Dans son «Liminaire» de la revue Contacts (48, 1er trimestre 1996, p. 2-4), Ï. Clément considère, à propos de la «Clarification» vaticane que «cette, note, admirablement argumentée, pourrait bien marquer la fin de la querelle du Filioque» (p.2) et affirme: «Nous pouvons maintenant comprendre le Filioque dans la perspective de l'Église indivise!» (p. 3).

 

2. HISTORIQUE DES POSITIONS EXPRIMEES PAR LA «CLARIFICATION».

L'accord d'Ï. Clément était, peut-on dire, acquis d'avance. La «Clarification» vaticane est en effet, dans son contenu, moins nouvelle qu'on pourrait le croire, puisqu'elle est en réalité une synthèse d'une série d'articles du Père J.-M. Garrigues o.p., dont le premier avait été publié par les soins d'Ï. Clément dans le revue Contacts il y a près de 25 ans (1). Cet article avait suscité l'adhésion enthousiaste de celui-ci, ce qui avait provoqué une vive réaction (2) de la part de théologiens du Patriarcat de Moscou (auquel Ï. Clément appartenait alors), en réponse à laquelle Ï.Clément affirmait son soutien presque total aux positions théologiques du Ñ. Garrigues(3). L'article de J.-M. Garrigues publié dans Contacts fut repris et développé l'année suivante dans un numéro spécial d'Isténa consacré à la question de la procession du Saint-esprit, ïu figuraient également les «Thèses sur le Filioque» de Â. Bolotov et une contribution d'Ï. Clément fortement marquée par les thèses du Ñ. Garrigues(4). Ce dossier donna lieu à un renouvellement et à une amplification de la réaction critique orthodoxe(5), mais provoqua également celle d'un patrologue catholique réputé pour sa compétence, mais aussi pour sa rigueur intellectuelle dans la pratique du dialogue œcuménique, le Ñ. André De Halleux(6). Celui-ci n'hésitait pas à écrire à propos du dossier d'Isténa dont l'article de J.-Ì. Garrigues constituait l'une des pièces maîtresses: «On n'a pas affaire ici à un véritable dialogue, mais plutôt a un essai d'annexion déguisée, dans la ligne des conciles unionistes du Moyen-Age. Aussi n'est-il pas surprenant que cette entreprise apologétique ait déjà provoqué, du côté orthodoxe, une violente réaction(7) et elle ne sera probablement pas Éa dernière - contre ce que son auteur qualifie, non sans raison, d' "intégration de la doctrine orthodoxe dans Éa doctrine catholique romaine"(8)».

Ayant bien perçu que le P. Garrigues est l'inspirateur des thèses exprimées dans la «Clarification» vaticane(9), Ï. Clément lui renouvelle son soutien dans son récent «Liminaire» de Contacts «je voudrais souligner le travail admirable, souvent génial, réalisé par le Père Jean-Miguel Garrigues qui a dit là-dessus tout ce qu'il fallait dire. Je n'aime pas beaucoup parler de moi, mais, pour une fois, je voudrais rappeler que j'ai développé -superficiellement sans doute, comme d'habitude- des positions convergentes(10)». Dans le même «Liminaire», Ï. Clément se montre dépité que de cet événement «d'une importance réelle, peut-être décisive», presque personne n'ait parlé(11). L'historique que nous avons présenté permet de comprendre l'une des raisons de ce silence du côté orthodoxe. Une autre raison en est sans doute que ce texte de cinq pages, visiblement rédigé à la hâte et constitué pour l'essentiel d'une simple synthèse d'articles préexistants et dont le contenu avait déjà fait l'objet d'un rejet de la part de bon nombre de théologiens orthodoxes, d'une part ne saurait prétendre régler un contentieux théologique qui dure depuis plus de dix siècles et a connu des développements extrêmement complexes, et d'autre part émane d'une commission vaticane et n'est pas parée d'une autorité qui lui donnerait un poids suffisant face à la multitude de documents pontificaux et aux conciles(12) qui, dans l'Église catholique, ont érigé en dogme et confirmé la doctrine latine du Fßlioque et qui, au sein de cette même Église, continueront a faire autorité tant qu'ils n'auront pas été remis en cause par des instances d'une nature équivalente.

 

3. L'ASPECT POSITIF DE LA «CLARIFICATION»

La «Clarification» fait un incontestable effort pour mettre en évidence la reconnaissance par l'Église catholique de ce que l'Église orthodoxe considère comme un principe intangible de sa foi: le fait que le Père est dans la Trinité la seule cause du Saint-Esprit. Les orthodoxes ne peuvent que se réjouir de voir proclamer: «L'Église catholique reconnaît la valeur conciliaire œcuménique, normative et irrévocable, comme expression de l'unique foi commune de l'Église et de tous les chrétiens, du symbole professé en grec à Constantinople en 381 par le IIe concile œcuménique. Aucune profession de foi propre à une tradition liturgique particulière ne peut contredire cette expression de la foi enseignée et professée par l'Église indivise. Ce symbole confesse sur la base de Jn 15, 26 l'Esprit «ôï åê ôïõ ðáôñüò åêðoñåõüìåíïí» («qui tire son origine du Père»). Le Père seul est le principe sans principe (áñ÷Þ Üíáñ÷ïò) des deux autres personnes trinitaires, l'unique source (ðçãÞ) du Fils et du Saint-Esprit. Le Saint-Esprit tire donc son origine du Père seul (åê ìüíïí ôïõ ðáôñüò) de manière principielle propre et immédiate(13)».

Cette déclaration parait de prime abord tout à fait satisfaisante au regard de la foi orthodoxe et semble rallier ses expressions les plus strictes. Ainsi le Ñ. Boris Bobrinskoy note: «Quand le texte dit que "le Saint-Esprit tire son origine du Père seul de manière principielle, propre et immédiate", n'y reconnaît-on pas le langage du saint Patriarche Photius qui affirmait, dans sa Mystagogie du Saint-Esprit que le Saint-Esprit procède "du Père seul?" Cette formule tellement décriée par l'apologétique romaine fut suivie unanimement par toute la dogmatique orthodoxe, depuis saint Grégoire Palamas, saint Marc d'Éphèse et jusqu'à nos jours'(14)»

 

4. PREMIERES RESERVES

L'enthousiasme que peut manifester un lecteur orthodoxe à première lecture doit cependant être tempéré.

On peut premièrement remarquer que l'Église catholique, à de rares exceptions près (l5), a toujours reconnu «la valeur conciliaire œcuménique, normative et irrévocable, comme expression de l'unique foi commune de l'Église et de tous les chrétiens, du symbole professé en grec à Constantinople en 381 par le deuxième Concile œcuménique», de même qu'elle a toujours reconnu la valeur normative et irrévocable des définitions de foi des autres conciles que, en commun avec l' Église
orthodoxe, elle reconnaît comme œcuméniques,: Les défenseurs latins. du Filioque ne voyaient pas là d'inconséquence puisque l'un de leurs arguments habituels était que le Filioque ne contredisait pas le Symbole de la foi mais s'accordait au contraire avec lui, et en constituait une simple explicitation; cette thèse a été présentée récemment encore par l'inspirateur de la «Clarification», le Ñ. Garrigues, lorsqu'il appelait cette dernière de ses vœux en indiquant quel devait être son esprit: «Él serait souhaitable que le pape et les évêques catholiques rappellent, à la suite du pape Léon III, que Éa version dogmatique du Symbole de Nicée-Constantinople est l'original grec confessé par les conciles et que celui-ci contient déjà en lui la plénitude de la foi catholique dans le Saint-Esprit dont le Filioque est une explication latine qõi ne prétend rßen ajouter au dogme conciliaire(16)».

On peut deuxièmement remarquer que l'affirmation que «le Saint-Esprit tire donc son origine du Père seul (åê ìüíïõ ôïõ ðáôñüò) de manière principielle, propre et immédiate» n'est pas, dans sa deuxième partie, sans ambiguïté. Le «principiel» fait évidemment penser «principalßter» augustinien; rapprochement confirmé par la référence explicite, quelques lignes plus loin, à la formule célèbre de l'évêque d'Hippone selon laquelle «le Saint-Esprit tire son origine du Père "principaliter"(17)». Or cette affirmation n'empêche pas saint Augustin d'affirmer conjointement (ce que la «Clarification» ne dit pas, mais permet à un lecteur catholique de sous-entendre aisément) que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils "communier", ce qui justifie précisément le Filioque(18).

L'affirmation que le Saint-Esprit procède du Père seul d'une manière «immédiate» paraît également ambiguë a qui connaît la doctrine latine du Filioque. Celle-ci en effet reconnaît volontiers que le Saint Esprit procède du Père seul d'une manière «immédiate», mais cela ne l'empêche pas d'affirmer conjointement (et la «Clarification» permet encore ici à un lecteur catholique de le sous-entendre) que l'Esprit Saint procède du Fils d'une manière «médiate», autrement dit que le Fils est médiateur dans -la procession du Saint-Esprit. Saint Grégoire Palamas fut amené à réfuter à plusieurs reprises cet argument classique des Latins(19).

Les affirmations que «le Père seul est le principe sans principe (áñ÷Þ Üíáñ÷ïò) des deux autres personnes trinitaires, l'unique source (ðçãÞ) et du Fils et du Saint-Esprit» et que «le Saint-Esprit tire donc son origine du Père seul», qui paraissent s'accorder parfaitement avec la foi orthodoxe, ne sont elles-mêmes pas sans ambiguïté sous la plume d'un théologien catholique. En effet, l'affirmation que le Père est «principe sans principe» n'implique pas nécessairement que le Saint-Esprit ait le Père comme unique principe, ni que le Fils ne soit pas pour le Saint-Esprit lui aussi un principe, ayant reçu du Père d'être principe en commun avec lui: par exemple le concile de Florence (qui fut rejeté par les orthodoxes), aussitôt après avoir professé que le Père «est principe sans principe» affirme que le Fils «est principe (issu) du principe», avant d'affirmer que le Père et le Fils «ne sont pas deux principes du Saint-Esprit mais un seul principe(20)». De même l'affirmation que le Père est l'unique source du Saint-Esprit peut-elle signifier que le Père est la source première sans exclure que le Fils soit source seconde: ainsi en est-il dans Éa doctrine filioquiste classique, et déjà dans le «princßpalßter» augustinien évoqué ci-dessus(21).

L'affirmation que «le Père est l'unique Cause trinitaire du Saint-Esprit» appelle la même remarque: elle peut sous-entendre en effet que le Père soit cause première et ne pas exclure que le Fils soit cause seconde(22). Un théologien catholique qui a consacré une grande partie de ses travaux à défendre la position filioquiste la plus traditionnelle n'hésitait pas à écrire récemment: «Nous pouvons reconnaître ensemble un sens très juste de l'a Patre solo, en percevant l'immanence du Filioque dans l'a Patre solo»(23). Et de se référer à cette remarque de Thomas d'Aquin lui-même: «Même si le passage [de l'Écriture] ïù il est dit que le Saint-Esprit procède du Père portait cette clause qu'il procède du Père seul, le Fils n'en serait pas exclu pour autant(24)

On pourra nous croire excessivement soupçonneux et nous accuser de faire à la «Clarification» un procès d'intention.

Mais la suite du document confirme malheureusement nos soupçons et nos craintes puisqu'elle consiste précisément dans une tentative pour concilier les affirmations précédentes avec la doctrine latine du Filioque. Le désir du pape Jean-Paul II que fut clarifiée «la doctrine latine du Filioque, présent dans la version liturgique du Credo latin, pour pouvoir mettre en lumière sa complète harmonie avec ce que le Concile œcuménique de Constantinople, en 381, confesse dans son Symbole(25)», annonçait à vrai dire assez clairement la nature et la finalité de l'entreprise: montrer la compatibilité de la doctrine latine du Fßlioque avec le Symbole de Constantinople, finalité que la «Clarification» assume parfaitement et reconnaît clairement(26) elle-ci rappelle ainsi un document épiscopal relativement récent qui se proposait de montrer au clergé et aux fidèles de l'Église catholique de Grèce, avec des arguments identiques puisés visiblement à la même source(27), que la récitation du Credo sans le «Filioque» était parfaitement compatible avec la doctrine latine du Filioque et ne signifiait nullement qu'on y renonçât(28)».

Il convient donc d'examiner les principaux arguments qu'avance la «Clarification» en vue de parvenir au but qu'elle vise.

 

5. LES ARGUMENTS DE LA «CLARIFICATION»

1. Les différences d'expressions linguistiques.

La «Clarification» reprend la théorie que le Ñ. Garrigues avait élaborée et exposée dans ses articles(29) (théorie qui fut reprise également par l'«Instruction pastorale de l'épiscopat catholique de Grèce»(30): la divergence entre l'Église orthodoxe et l'Église latine sur la question du Filioque ne serait pas une divergence proprement dogmatique, mais tiendrait à un malentendu linguistique, dont l'élucidation permettrait de constater que les deux Églises confessent (et ont toujours confessé) deux expressions complémentaires de ce qui est au fond la même foi, de constater autrement dit que la doctrine latine du Filioque est au fond compatible avec la foi exprimée dans le Symbole professé à Constantinople en 381.

Selon cette théologie telle qu'elle est reprise par la «Clarification», les Pères grecs désigneraient par le terme d'åêðüñåõóéò «la relation d'origine de l'Esprit à partir du Père seul», la distinguant de Éa «procession que l'Esprit a en commun avec le Fils» qu'ils désigneraient par un autre terme: ôï ðñïúÝíáé(31). C'est «pour cette raison [que] l'Orient orthodoxe a toujours refusé la formule ôï åê ôïõ Ðáôñüò êáé ôïõ õéïý åêôôïñåõüìåíïí(32)». Mais «si l'åêðüñåõóéò grecque ne signifie que Éa relation d'origine par rappïrt au seul Père en tant que principe sans principe de la Trinité», «en revanche, la processio latine est un terme plus commun signifiant la communication de la divinité consubstantielle du Père au Fils et du Père par et avec le Fils au Saint-Esprit. En confessant le Saint-Esprit "ex Patre procedentem"; les Latins ne pïuvaient donc que supposer un Filioque implicite qui serait explicité plus tard dans leur version liturgique du symbole(33)». La «Clarification» explique alors que la confession de ce Fßlioque dans le Credo s'est répandue en Occident à partir du Ve siècle. Les Byzantins en furent choqués lorsqu'ils en eurent connaissance, comme le montre un épisode datant du VIIe siècle rapporte par saint Maxime le Confesseur(34). Mais il y avait alors un malentendu, qui se renouvela ultérieurement dans le refus des orthodoxes d'admettre le Filioque: en voyant le ex Patre Fßlioque procedentem traduit en grec: ôï åê ôïõ ðáôñüò êáé ôïõ õéïý åêðïñåõüìåíïí, les Byzantins rapportaient, selon leurs habitudes verbales, le åêðïñåõüìåíïí à l'origine du Saint-Esprit alors que les Latins avaient en vue «la communication de la divinité au Saint-Esprit à partir du Père et du Fils dans leur communion consubstantielle», ce qu'il aurait fallu rendre en grec non par åêðïñåõüìåíïí mais par ðñïúüí. De leur côté les Latins étaient victimes du malentendu opposé puisque, de même que Jn 15, 26 (ðáñÜ ôïõ ðáôñüò åêðïñåýåôáé) avait été traduit dans la Vulgate par «qui a Patre procedit», le åê ôïõ ðáôñüò åêðïñåõüìåíïí du Symbole de Nicée-Constantinople avait été traduit par «ex Patre procedentem»; «il se créait ainsi une fausse équivalence a propos de l'origine éternelle de l'Esprit entre la théologie orientale de l'åêðüñåõóéò et la théologie latine de la processio»(35).

Selon la «Clarification», qui suit toujours la théorie du Ñ. Garrigues, si elles ne sont plus faussement tenues pour des équivalents mais sont référés a leur tradition théologique respective, l'åêðüñåõóéò grecque (qui exclut le Fßlioque) et la processßo latine (qui l'implique) expriment deux points de vue légitimes et parfaitement conciliables, parce qu'ils correspondent à des réalités non pas exclusives mais complémentaires. La «Clarification» cite ici le Catéchisme de É'Église catholique (dont le maître d'œuvre fut, rappelons-le, un proche du Ñ. Garrigues, disciple comme lui du Ñ. J.-Ì. Le Guillou, Mgr Christoph íon Schönborn, actuellement archevêque de Vienne): «Pour l'Église catholique, la tradition orientale exprime d'abord le caractère d'origine première du Père par rapport a l'Esprit. En confessant l'Esprit comme "tirant son origine du Père"(åê ôïõ ðáôñüò åêðïñåõüìåíïí, cl. Jn 15, 26), elle affirme que celui-ci tire son origine du Père par le Fils. La tradition occidentale exprime d'abord la communion consubstantielle entre le Père et le Fils en disant que l'Esprit procède du Père et du Fils (Filioque). [...] Cette légitime complémentarité, si elle n'est pas durcie, n'affecte pas l'identité de la foi dans Éa réalité du même mystère confesse» (36).

2. La présence de la même conception que Éa traditßon latine au sein de Éa tradition orientale.

a) L'équivalence du äéÜ ôïõ õéïý et du Filioque.

Selon la «Clarification» (de même que selon le Ñ. Garrigues) le point de vue latin serait aussi celui d'une partie de la tradition orientale. Elle cite des textes de saint Basile de Césarée, de saint Maxime le Confesseur, de saint Jean Damascène, ainsi que la profession de foi de saint Taraise, qui affirment que l'Esprit Saint procède du Père par le Fils (äéÜ ôïõ õéïý), les trois derniers textes utilisant même le terme åêðïñåõüìåíïí (åê ôïõ ðáôñüò äéÜ ôïõ õéïý åêðïñåõüìåíïí). La «Clarification» note que cette formule exprime de manière heureuse une «relation éternelle entre le Fils et le Saint-Esprit à partir du Père» et suggère que cette relation serait la même que celle qu'expriment les Pères latins par le Filioque, «l'ensemble doctrinal» manifesté par les textes précédemment cités «témoign[ant] de la foi trinitaire fondamentale telle que l'Orient et l'Occident l'ont professée ensemble pendant l'epoque des Pères»(37).

b) Accord de la tradition alexandrine avec la tradition latine.

La tradition alexandrine telle qu'elle s'exprime notamment à travers deux de ses plus illustres représentants, saint Athanase et saint Cyrille, serait en accord plus explicite encore avec la tradition latine. Immédiatement après avoir rappelé que «le Filioque a été confessé en Occident à partir du Ve siècle [...] pïur affirmer la consubstantialité trinitaire» puis s'y est progressivement répandu(38), la «Clarification» affirme qu'«une théologie analogue s'était développée à l'époque patristique à Alexandrie à partir de saint Athanase» et que «comme dans la tradition latine, elle s'exprimait avec le terme plus commun de procession (ðñïúÝíáé) désignant la communication de la divinité au Saint-Esprit à partir du Père et du Fils dans leur communion consubstantielle»(39).

c) Accord de la tradition latino-alexandrine avec la tradition cappadocienne.

La «Clarification» distingue donc d'une part la tradition cappadocienne pour laquelle le Saint-Esprit a son origine du Père seul, et d'autre part la tradition «latino-alexandrine»(40) pour laquelle le Saint-Esprit procéderait «du Père et du Fils dans leur communion consubstantielle»(41). Elle considère qu'il s'agit de deux «approches»(42) différentes, mais qu'elles sont néanmoins non seulement conciliables, mais complémentaires. Selon la «Clarification», saint Maxime «articule ensemble les deux approches -cappadocienne et latino-alexandrine- de l'origine éternelle de l'Esprit: le Père est le seul principe sans principe (en grec áéôßá) du Fils et de l'Esprit; le Père et le Fils sont source consubstantielle de la procession (ôï ðñïúÝíáé) de ce même Esprit»(43), lorsqu'il écrit dans son Opuscule théologique et polémßque ×: «Sur la procession, ils [les Romains] ont amené les témoignages des Pères latins, en plus, bien sur, de saint Gyrille d'Alexandrie dans l'étude sacrée qu'il fit sur l'Évangile de saint Jean. A partir de ceux-ci ils ont montré qu'eux-mêmes ne font pas du Fils la Cause (áéôßá) de l'Esprit - ils savent, en effet, que le Père est la Cause unique du Fils et de l'Esprit, de l'un par génération, de l'autre par åêðüñåõóéòmais ils ont expliqué que celui-ci provient (ðñïúÝíáé) à travers le Fils et montré ainsi l'unité et l'immutabilité de l'essence»(44). Il est à noter que c'est ce texte, rencontré par J.-M. Garrigues lors de ses travaux sur saint Maxime, qui fut a l'origine de sa théorie, exprimée dans ses différents articles que nous avons cités, et reprise en substance par la «Clarification».

d) Accord des défßnßtions du IVe conciÉe du Latran (1215) et du concile de Lyon (1274) avec Éa tradition «latino-alexandrine».

La «Clarification» veut montrer que les définitions du IVe concile du Latran (1215) et du concile de Lyon (1274) se situent dans la ligne de cette tradition (et inversement contribuent à l'éclairer). Selon le premier concile: «le Père, en engendrant éternellement le Fils, lui a donné sa substance. [...] Él est évident qu'en naissant le Fils a reçu la substance du Père sans qu'elle fut aucunement diminuée, et qu'ainsi le Père et le Fils ont même substance. Ainsi le Père, le Fils, et le Saint-Esprit qui procède à partir des deux, sont une même réalité».

Selon le second concile évoqué, «le Saint-Esprit procède éternellement du Père et du Fils, non pas comme deux principes, mais comme d'un seul principe (tanquam ex uno principio)»(46). La «Clarification», se souvenant que les définitions du concile d'union de Lyon furent refusées par les orthodoxes et que la formule citée encourt l'objection de ces derniers de faire procéder É'Esprit Saint de l'essence, veut interpréter cette formule d'une part à la lumière de la définition du concile du Latran qu'elle cite auparavant (selon laquelle «la substance n'engendre pas, n'est pas engendrée, ne procède pas, mais c'est le Père qui engendre, le Fils qui est engendré, le Saint-Esprit qui procède, en sorte qu'il y ait distinction dans les personnes et unité dans Éa nature»)(47) et d'autre part selon l'interprétation du Catéchisme de É'Église catholique: «L'ordre éternel des personnes divines dans leur communion consubstantielle implique que le Père soit l'origine première de l'Esprit en tant que "principe sans principe" ([concile de Florence] Denzinger 1331), mais aussi qu'en tant que Père du Fils unique il soit avec lui "l'unique principe dont procède l'Esprit Saint" (IIe concile de Lyon)»(48). On retrouve dans ce dernier texte, sous la plume de Mgr Christoph íon Schönborn(49), la tentative qu'avait faite son ami J.-M. Garrigues pour rectifier dans sa forme une justification du Filioque critiquée comme essentialiste non seulement par des théologiens orthodoxes, mais par certains théologiens catholiquesh(50), et pour la resituer dans un contexte personnaliste(51), tentative qui avait en son temps trouvé un écho favorable chez certains théologiens orthodoxes(52).

Sans entrer dans la réflexion critique sur ces arguments, on se demandera, en passant, ce que vaut, d'un strict point de vue méthodologique, le procédé consistant à interpréter un concile à la lumière d'un concile antérieur dont la visée et le contexte sont tout autres. On constatera, d'autre part, en toute objectivité, que les définitions du concile de Lyon subissent ici une édulcoration(53), de même que celles du concile de Florence. Le Catéchisme et la «Clarification» cherchent manifestement a donner une forme acceptable à ces définitions dont ils savent qu'elles ont été rejetées par les orthodoxes en leur forme originelle, mais auxquelles ils ne sont nullement disposés à renoncer.

3. La médiation du Fils dans la procession du Saint-Esprit.

La tentative que nous venons d'évoquer revient à justifier la médiation du Fils dans la procession du Saint-Esprit à partir du Père en utilisant cet argument (longuement présenté auparavant dans deux articles du Père Garrigues)(54): le Père est Père du Fils et a ce titre ne peut pas impliquer le Fils quand il fait procéder le Saint-Esprit. Él est à noter que cet argument, qui peut paraître nouveau à ceux qui ne connaissent pas les détails de l'histoire de la controverse du Filioque, est en réalité un argument ancien, comme en témoigne la réfutation qu'en fait saint Grégoire Palamas dans ses Traités apodictiques. Él est à noter aussi que cet argument a été souvent utilisé par les théologiens «orthodoxes» latinophrones, et qu'on le trouve notamment dans les «Thèses sur le Fßlioque» de Â. Bolotov(55). Toujours est-il que Éa «Clarification», sensible à l'écho positif que cet argument a (re)trouvé dans les milieux «orthodoxes» latinophrones actuels à la suite de sa reprise et de son développement par le Ñ. Garrigues s'y arrête longuement. Elle affirme ainsi de manière très nette que «dans l'ordre trinitaire, le Saint-Esprit est consécutif à la relation entre le Père et le Fils puisqu'il tire son origine du Père en tant que celui-ci est le Père du Fils unique»(56). On voit ici comment l'affirmation, plusieurs fois répétée dans la «Clarification», que le Père est la seule origine du Saint-Esprit -affirmation qui, présentée d'abord de manière isolée semblait s'accorder avec la position orthodoxe- trouve ici ce qui ç'est pas seulement un complément, mais un correctif, qui clarifie» en effet la façon dont elle était des le départ entendue. Le Père est la seule source du Saint-Esprit, mais puisqu'il est Père du Fils, il implique nécessairement le Fils quand il fait procéder l'Esprit, et donc l'Esprit procède du Père et du Fils: CQFD [ce qu'il fallait démontrer]. On retrouve ici la vieille conception filioquiste de la nécessaire médiation du Fils dans la procession du Saint-Esprit à partir du Père(57).

La «Clarification» va même plus loin, puisque, dans la logique de la théorie du Ñ. Garrigues qu'elle adopte(58), elle va jusqu'à subordonner Éa relation de «parti-filiation du Père avec le Fils» (le fait pour le Père d'engendrer le Fils et le fait pour le Fils d'être engendré par le Père) au fait que le Fils contribuerait a faire procéder l'Esprit Saint: «Le Père n'engendre le Fils qu'en spirant (ðñïâÜëëåéí en grec) par lui l'Esprit Saint, et le Fils n'est engendré par le Père que dans la mesure ïù la spiration (ðñïâïëÞ en grec) passe par lui(59)»; «le Père n'est père du Fils Unique qu en étant pour lui et par lui l'origine du Saint-Esprit(60)». Cette affirmation est reprise par la suite: «La spiration de l'Esprit à partir du Père se fait par et à travers (ce sont les deux sens de äéÜ en grec} l'engendrement du Fils(61)». On voit comment la «Clarification» a ici totalement perdu de vue la distinction qu'elle avait établie entre une prétendue approche cappadocienne et une prétendue approche latino-alexandrine, pour retrouver un point de vue ïù ekporése à partir du Père seul et procession à partir du Père et du Fils se trouvent confondues au profit de cette dernière, et pour retrouver aussi la classique conception filioquiste qui prétend assimiler le äéÜ ôïõ õéïý grec (ou encore l'affirmation patristique que le Saint-Esprit repose dans le Verbe(62) au Filioque latin (assimilation qui depuis de nombreux siècles bénéficie, au sein de l'Église orthodoxe, de l'aval du courant latinophrone). Él est d'ailleurs significatif que; après la publication de la «Clarification», J.-Ì. Garrigues ait pu aisément montrer à des lecteurs catholiques qui s'étaient inquiétés d'une certaine différence de vocabulaire entre la «Clarification» et les définitions du concile de Florence, que, quand au fond, celle-là est en accord avec celles-ci(63).

La «Clarification» affirme dans le même temps et de manière tout à fait conséquente dans le cadre de sa propre logique que «c'est dans l'Esprit que [la] relation entre le Père et le Fils atteint elle-même sa perfection trinitaire(64)», la spiration du Saint-Esprit a partir du Père «par et à travers l'engendrement du Fils» caractérisant cet engendrement «de manière trinitaire(65)». On voit pointer dans cette idée une thèse classique des théologies augustinienne et thomiste, qui trouvait son expression chez Augustin dans l'affirmation bien connue que le Saint-Esprit est l'amour du Père et du Fils. Et en effet la clarification fait référence quelques lignes plus loin à «une tradition remontant à saint Augustin», et évoque par la suite «l'amour divin qui a son origine dans le Père repose dans "le Fils de son amour" pour exister consubstantiellement par celui-ci dans la personne de l'Esprit, le Don d'amour(66)»; elle parle aussi par la suite du «caractère original de la personne de l'Esprit comme Don éternel de l'amour du Père pour son Fils bien-aimé(67)». Ces dernières expressions montrent que la «Clarification» situe sa conception dans l'ordre théologique, tout en faisant apparaître ses implications et ses prolongements dans l'ordre économique, auquel renvoient très clairement de nombreuses références scripturaires. On voit apparaître ici l'idée sous jacente à la doctrine latine du Filioque selon laquelle l'ordre théologique se révèle dans l'ordre économique, et selon lequel l'ordre économique permet de connaître l'ordre théologique dont il est l'expression.

 

6. CRITIQUE DE LA THEORIE EÔ DES ARGUMENTS PRESENTES PAR LA «CLARIFICATION»

1. La différence des positions orthodoxe et catholique romaine ne consiste pas en un simple malentendu linguistique.

La théorie linguistique élaborée par J.-M. Garrigues et reprise par la «Clarification» est excessivement schématique et artificielle. J.-Ì. Garrigues en a eu l'idée en lisant le passage de l'Opuscule théologique et polémique × de saint Maxime le Confesseur ïù celui-ci dissipe un malentendu en incriminant «le fait [pour les Latins] de ne pouvoir exprimer sa pensée dans d'autres mots et en une autre langue comme dans les siens, difficultés que nous [les Grecs] nous rencontrons aussi», et explique qu'en disant que «l'Esprit Saint procède aussi du Fils (åêðïñåýåóèáé êáé ôïõ õéïý ôï ðíåýìá ôï Üãéïí)» (formule qui suscitait la critique de certains Byzantins) le pape Théodore Éer et les théologiens de son entourage «n'ont pas fait du Fils la cause du Saint-Esprit -car ils savaient le Père cause unique de Celui-la selon la génération et de Celui-ci selon la procession (êáôÜ ôçí åêðüñåõóéí)-, mais qu'ils ont voulu manifester le fait [pour l'Esprit] de sortir par Lui [le Fils] (ôï äé'áõôïý ðñïúÝíáé)(68). J.-M. Garrigues en a tiré la conclusion que pendant des siècles un malentendu s'était maintenu à propos de la question du Filioque parce qu'une fausse équivalence s'était établie entre l'åêðüñåõóéò greque et la processio latine, cette dernière correspondant en fait au ðñïúÝíáé grec. En réalité le malentendu que dissipe Maxime ne se limite pas, loin de là, a un problème de íocabulaire(69), et a fortiori la controverse sur le Fßlioque ne s'explique-t-elle pas et n'est-elle pas susceptible de se résoudre en des termes aussi simples; penser le contraire, c'est faire injure à la culture et à l'intelligence des théologiens des deux bords qui pendant plus de douze siècles ont confronté de manière détaillée leurs positions sur ce sujet.

Cette théologie linguistique est particulièrement réductrice et simplificatrice. Un théologien catholique qui est l'un des meilleurs connaisseurs de la pensée et du vocabulaire des Pères, le Ñ. André De Halleux écrit notamment à son propos: «La reconstruction historique du Ñ. Garrigues paraît d'une ingéniosité trop artificielle pour étayer ses conclusions doctrinales(70)». Nous voudrions simplement faire remarquer qu'à la lecture des textes patristiques tant latins que grecs, le vocabulaire ne paraît pas aussi rigide que le prétend la «Clarification» à la suite du Ñ. Garrigues, mais possède au contraire une certaine souplesse, et c'est justement ce qui rend parfois difficile l'interprétation de certaines formules dont seul le contexte peut permettre de déterminer le sens. S'il est vrai que les mots grecs åêðüñåõóéò et åêðïñåýåóèáé ont un sens plus restreint que les mots latins processio et procedere et se rapportent le plus souvent à l'origine de l'existence personnelle du Saint-Esprit à partir du Père, ils peuvent aussi, chez les Pères grecs, avoir un sens assez large et servir à exprimer la procession du Saint-Esprit entendue dans une perspective économique (celle de son envoi, comme don ïu grâce dans le monde)(71) ou dans une perspective énergétique (celle de sa communication ou de son rayonnement éternels comme énergie); inversement les mots ðñïúÝíáé, ðñïÝñ÷åóèáé, ðñï÷åßóèáé, qui sont le plus souvent utilisés dans un sens économique ou énergétique, peuvent aussi se rapporter, sur le plan théologique, à l'origine personnelle du Saint-Esprit(72). Quant au procedere latin, dont le sens est, il est vrai, tellement large qu'il est parfois utilisé pour désigner l'engendrement du Fils, il est évidemment employé aussi de manière fréquente par les Pères latins dans un sens étroit correspondant au sens étroit de l'åêðïñåýåóèáé grec.

La théorie, élaborée sõr la base de la distinction linguistique précédente, selon laquelle, sur le plan proprement théologique, les termes åêðüñåõóéò et processio / ôï ðñïúÝíáé exprimeraient deux traditions théologiques différentes et complémentaires, n'est pas recevable.

1) Premièrement, le sens le plus commun du ðñïúÝíáé grec, qui est économique ou énergétique, ne correspond pas aõ sens particulier du procedere auquel la «Clarification», à la suite du Ñ. Garrigues, entend l'assimiler: celui d'une communication de consubstantialité, ou pour parler plus clairement, d'une transmission de l'essence ou de la nature divine du Père et du Fils (ïu par le Fils) au Saint-Esprit, les Pères latins étant d'ailleurs loin de tous s'accorder sur ce sens du mot procedere privilégié par la doctrine filioquiste.

2) Deuxièmement cette théorie suppose que chaque partie en cause ne perçoive qu'une partie de la vérité, ç'appréhende qu'un aspect de la vie trinitaire et ignore l'autre: ainsi l'åêðüñåõóéò grec percevrait et exprimerait la procession du Saint-Esprit selon l'hypostase (ou son origine hypostatique) à partir du Père, tendis que le procedere latin percevrait et exprimerait sa procession selon l'essence ou la nature divine à partir de Père et du Fils. Outre ce que cette seconde affirmation a de contestable en prétendant attribuer aux Pères latins, sous couvert d'uniformité linguistique, une conception que tous n'ont pas partagée, une telle dissociation est irréelle. Les Père grecs n'ont aucunement séparé la procession ou l'ekporèse selon l'essence de l'ekporèse ou la procession selon l'hypostase, de même que tous les Pères latins n'ont pas séparé la procession selon l'essence de la procession selon l'hypostase. Comme l'écrit le Ñ. Á. De Halleux: «si la processio latine n'est pas synonyme de l'ekporèse grecque, il ne s'ensuit pas que chacun de ces concepts exprime exclusivement l'un des deux aspects complémentaires du mystère, le premier portant sur la communion consubstantielle et le second sur le caractère hypostatique. Ce découpage en définitions abstraites a peu de chance de traduire la complexité vivante de la pensée patristique, pour laquelle la procession connotait sans doute l'origine personnelle, et l'ekporèse, la participation essentielle. Pourquoi donc chacune des deux parties de la chrétienté n'aurait-elle saisi qu'une moitié du donné révélé(73)»?

3) Troisièmement on retrouve dans cette théorie adoptée par la «Clarification» la tendance à vouloir isoler la position des Cappadociens en l'opposant à la tradition latine et à la tradition alexandrine ces deux dernières étant présentées non seulement comme convergentes mais comme constituant une même tradition de pensée (lorsqu'on par le d'une tradition latino-alexandrine). La tendance à isoler la tradition cappadocienne était plus nette encore dans les articles du Ñ. Garrigues et était poussée à l'extrême dans un livre de son maître le Ñ. J.-M. Le Guillou qui ne cachait d'ailleurs pas son hostilité à l'égard de cette tradition(74). En fait il y a un accord de fond entre la position des Cappadociens et celle des grands Alexandrins (même si ceux-ci ont un vocabulaire souvent plus large, plus souple et moins précis, et aussi plus essentialiste). En revanche, nous l'avons déjà signalé, on ne trouve pas dans la tradition latine l'unanimité que la «Clarification» y voit a la suite du Ñ. Garrigues. L'idée d'une procession du Saint-Esprit selon la substance ou la nature divine à partir du Père et du Fils se trouve bien en effet chez Augustin et ses disciples, et avant Augustin chez un Père latin a qui la triadologie augustinienne doit beaucoup: Tertullien(75). Mais cette position, qui non seulement est partielle -nous le concédons volontiers a la «Clarification et au Ñ. Garrigues- mais erronée, est loin d'être partagée par tous les Père latins non seulement antérieurs, mais postérieurs à Augustin (comme saint Hilaire de Poitiers, saint Ambroise de Milan, et même comme saint Léon le Grand et saint Grégoire le Grand).(76). Et il est probable que la position latine que saint Maxime le Confesseur défend comme orthodoxe dans son Opuscule théologßque et polémßque × témoigne de l'existence, à son époque, au sein de l'Église latine, d'un courant théologique parallèle au courant augustinien et en désaccord avec lui(77).

2. Dissociation inacceptable de l'ekporèse selon Éa personne et de Éa procession selon la nature.

Il nous faut examiner ici plus longuement la dissociation qu'opère la «Clarification» entre ekporèse selon l'hypostase et procession selon la nature -bien qu'elle s'exprime de manière plus discrète et moins tranchée dans sa terminologie que dans les articles du Ñ. Garrigues dont elle s'inspire- car elle est une pièce maîtresse de son argumentation.

On peut remarquer qu'une telle dissociation est en réalité inexistante non seulement entre la représentation orientale et la représentation occidentale, mais au sein même de la pensée des Pères grecs (et des Pères latins qui sont en accord avec eux). Au plan proprement théologique, le Saint-Esprit (de même que le Fils) procède du Père seul non seulement selon l'hypostase, mais selon l'essence (ainsi les Pères soulignent parfois ce dernier aspect en notant que le Saint-Esprit procède «du Père selon l'essence(78)». Él reçoit du Père seul son essence en même temps qu'il reçoit de lui seul son hypostase. La monarchie du Père, sur laquelle insistent particulièrement les Cappadociens, signifie que le Père est la seule source non seulement de l'hypostase mais de l'essence des deux autres personnes trinitaires. L'hypostase et la nature sont reçues en même temps et indissociablement et par le Fils et par le Saint-Esprit. Selon un principe affirmé par saint Maxime et réaffirmé par saint Jean Damascène, il n'y pas d'hypostase sans nature ou sans essence(79). Quand les Pères disent que le Saint-Esprit reçoit du Père son existence personnelle, ils n'entendent pas par la qu'il reçoive seulement son hypostase: il existe à partir du Père immédiatement et indissociablement non seulement comme Saint-Esprit mais comme Dieu, comme une personne de nature divine, comme Saint-Esprit qui est Dieu(80). De même quand les Pères affirment que le Saint-Esprit reçoit du Père son être (par exemple lorsque saint Grégoire de Nysse écrit que le Saint-Esprit «tient son être [åßíáé] attaché comme à sa cause au Père dont il procède),(81)» ils entendent à la fois et indissociablement son hypostase et son essence. De même donc que le Fils est engendré du Père seul directement et sans intermédiaire, recevant du Père seul d'exister comme Fils différent de lui et comme Dieu identique à lui, le Saint-Esprit procède du Père seul directement et sans intermédiaire, recevant du Père seul d'exister comme Esprit différent de lui et comme Dieu identique à lui. La monarchie du Père sur laquelle insistent les Cappadociens signifie non seulement que le Père est seul principe et cause et du Fils et de l'Esprit Saint, mais qu'il est aussi le seul principe de leur différence hypostatique (étant la cause du Fils par engendrement et celle de l'Esprit par procession) et en même temps le seul principe de leur identité de nature(82), étant la seule source de la divinité que l'un et l'autre reçoivent de lui seul(83). On doit seulement faire la distinction suivante: le Père cause l'hypostase du Saint-Esprit, tendis qu'il lui communique l'essence divine, de même qu'il cause l'hypostase du Fils et lui communique l'essence divine, car sinon il serait la cause de sa propre essence, l'essence qu'il communique à l'un et a l'autre étant la sienne. Mais cette distinction n'enlève rien à la simultanéité des deux procès, ni surtout au fait que c'est du Père seul que le Saint-Esprit tient tant son essence que son hypostase(84).

3. Affirmatßon inacceptable de la médiation du Fils dans la procession du Saint-Esprit.

a. «L'Esprit Saßnt procède du Père par le Fßls».

La «Clarification» reprend l'argument filioquiste ancien d'une médiation du Fils dans la procession du Saint-Esprit à partir du Père. Dans la ligne de la pensée filioquiste telle qu'elle s'est exprimée au concile d'union de Florence, la «Clarification» affirme l'identité fondamentale de l'expression latine «l'Esprit Saint procède du Père par le Fils (äéÜ ôïõ õéïý)». Les théologiens orthodoxes ont toujours refusé et réfuté une telle identification, que les théologiens latinophrones ont cependant été portés à admettre, raison pour laquelle sans doute la «Clarification» se risque à avancer de nouveau cet argument.

Elle le fait en s'appuyant sur trois citations patristiques. La première est de saint Basile: «Par le Fils qui est un, (le Saint-Esprit] se rattache au Père qui est un, et complète la bienheureuse Trinité digne de toute louange(85)». La deuxième citation est de saint Maxime le Confesseur: «Par nature le Saint-Esprit selon l'essence procède substantiellement du Père par le Fils engendré (ôï ãáñ ðíåýìá ôï Üãéïí, þóôå öýóåé êáô'ïõóßáí õðÜñ÷åé ôïõ èåïý êáé ðáôñüò, ïýôùò êáé ôïõ õéïý öýóåé êáô'ïõóßáí åóôßí ùò åê ôïõ ðáôñüò ïõóéùäþò äé' õéïý ãåííçèÝíôïò áöñÜóôùò åêðïñåõüìåíïí)».(86) La troisième citation est de saint Jean Damascène: «Je dis que Dieu est toujours Père, ayant toujours à partir de lui-même son Verbe, et par son Verbe ayant son Esprit procédant de lui (áåé çí Ý÷ùí åî áõôïý ôïí áõôïý ëüãïí êáé äéÜ ôïõ ëüãïõ áõôïý åî áõôïý ôï ðíåýìá áõôïý åêðïñåõüìåíïí).(87) La «Clarification» renvoie à un autre passage de saint Jean Damascène qu'elle ne cite pas mais qui est le suivant: «C'est la même intelligence, abîme de raison [le Père], qui engendre le Verbe et projette, par le Verbe, l'Esprit manifestant (äéÜ ëüãïí ðñïâïëåýò åêöáíôïñéêïý ðíåýìáôïò). [...] L'Esprit Saint est la puissance manifestant le secret de la divinité; procédant du Père par le Fils (åê ðáôñüò ìåí äé'õéïý åêðïñåõïìÝíç) comme lui-même le sait, et non par génération(88)».

Le texte cité de saint Basile ne nous paraît pas pouvoir être pris en considération dans ce contexte puisqu'il ne traite pas de la procession du Saint-Esprit qui est un (c'est-à-dire indépendant selon son hypostase) tout en étant uni au Père et au Fils (selon la nature divine commune). En revanche quelques lignes plus loin, lorsque saint Basile parle de la procession du Saint-Esprit, il affirme très clairement que le Saint-Esprit procède du Père seul: «on le dit être de Dieu (le Père] (åê ôïõ Èåïý åßíáé), non point à le manière dont toutes les choses viennent de Dieu, mais en tant qu'il sort de Dieu [le Père] (åê ôïõ Èåïý ðñïåëèüí)(89)».

Le passage de saint Maxime cite par la «Clarification» avait été maintes fois présenté par le Ñ. Garrigues comme une justification exemplaire de sa propre théorie; celui-ci considérait notamment que le Confesseur ici «a réuni les deux intuitions [cappadocienne-orientale et latine-alexandrine, qui s'expriment respectivement par les expressions "par le Fils"et "Filioque"] en une seule formule d'une très grande densité(90)». Or ce texte, parmi d'autres textes ambigus de Maxim(91), est celui qu'il ne fallait pas citer, car il est le moins apte au rôle qu'on veut lui faire jouer: si tel qu'il est présenté ici, hors de son contexte, il peut certes faire illusion et paraître confirmer tout à fait la thèse du Ñ. Garrigues reprise par la «Clarification», replacé dans son contexte il permet au contraire de la réfuter. «Je comprends, écrit Maxime, qu'ici la sainte Écriture parle des énergies du Saint-Esprit, donc des charismes de l'Esprit, qu'il appartient au Verbe d'accorder à l'Église en tant que tête de tout le corps. «L'Esprit de Dieu reposera sur lui, esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de piété; et il le remplira d'esprit de crainte de Dieu» (Is 11, 2-3). Si la tête de l'Église, selon la pensée de l'humanité, c'est le Christ, alors celui qui par nature, en tant que Dieu, a l'Esprit, accorde à l'Église les énergies de l'Esprit. C'est en effet pour moi que le Verbe est devenu homme, pour moi aussi qu'il á accompli tout le salut, qu'à travers ce qui est mien il m'a attribué ce qui selon la nature lui était propre. Par ce qu'il a étant devenu homme et comme le tenant de moi, il manifeste ce qui lui est propre, et il s'attribue à lui-même la grâce qu'il me fait en tant qu'ami de l'homme, Él inscrit à mon propre crédit la puissance de vertus qui lui est propre par nature. A cause de quoi Él est dit encore recevoir ce que par nature il possède sans commencement et au-delà de toute raison. Car de même que l'Esprit Saint existe selon l'essence [comme Esprit] de Dieu le Père, de même par nature selon l'essence est-il [Esprit] du Fils, en tant que procédant ineffablement du Père, essentiellement, par le Fils engendré, et donnant au chandelier, c'est-à-dire l'Église, ses propres énergies comme des lampes(92)». Él est parfaitement clair a la simple lecture de ce texte que le propos de Maxime se situe dans une perspective économique, et ne concerne pas l'origine du Saint-Esprit au sein de la Trinité, mais sa manifestation, sa communication, son don aux chrétiens dans l'Église comme grâce ou -Maxime utilise le mot à plusieurs reprises- comme «énergie(93)».

C'est dans une perspective analogue -celle de la manifestation de l'Esprit Saint comme énergie- qu'il faut comprendre le passage du De fßde orthodoxa de saint Jean Damascène auquel renvoie la «Clarification», puisque celui-ci parle très clairement de «l'Esprit manifestant», et précise plus loin que «l'Esprit Saint est la puissance manifestant le secret de la divinité», le mot puissance (äýíáìéò) étant un terme souvent utilisé par les Pères grecs (notamment Denys l'Areopagite)(94) pour qualifier les énergies divines. Mais saint Jean Damascène vise ici la manifestation des énergies divines issues du Père, par le Fils dans le Saint-Esprit non sur le plan économique, dans la création, mais au sein de la divinité et autour d'elle. Tout le contexte de ce passage est d'ailleurs «énergétique», puisque le Père lui-même est désigné comme «soleil sur essentiel, source de bonté, abîme d'essence, de raison, de sagesse, de puissance, de lumière, de divinité, source envoyant le bien caché en elle», et que le Fils est lui-même désigné comme «verbe, sagesse, puissance et volonté» du Père, noms qui désignent non des qualités propres à telle ou telle hypostase, mais des propriétés de l'essence divine qui est commune aux trois personnes, qualités ou attributs se communiquant comme énergies d'une personne à l'autre (du Père, par le Fils, au Saint-Esprit) et se manifestant comme telles. C'est sans doute dans le même sens qu'il faut comprendre la formule de saint Jean Damascène citée par la «Clarification»: «Je dis que Dieu est toujours Père, ayant toujours à partir de lui-même son Verbe, et par son Verbe ayant son Esprit procédant de lui», le texte du Contra manichaeos dont est extraite cette phrase insistant bien par ailleurs sur le fait que le Père est seul principe et cause et du Fils et du Saint-Esprit: «S'il y a trois hypostases, il y a cependant un seul principe. En effet, le Père est le principe du Fils et de l'Esprit, non selon le temps, mais selon la cause. Car le Verbe et l'Esprit sont (issus) du Père, mais pourtant pas après lui. Car de même que la lumière est (issue) du feu et que le feu ne précède pas la lumière dans le temps -il ne peut en effet y avoir un feu qui ne soit pas lumineux, et le feu est le principe et la cause de la lumière qui est (issue) de lui-, de même le Père est-il la cause du Verbe et de l'Esprit -en effet, le Verbe et l'Esprit sont (issus) du Père- sans qu'il précède dans le temps. Je confesse donc que le Père est l'unique principe et cause naturelle du Verbe et de l'Esprit(95)».

On pourrait trouver d'autres textes des Pères où est évoquée une médiation du Fils dans la procession du Saint-Esprit, mais ïù cette procession est en fait la manifestation ou la communication des énergies divines, soit éternellement, au sein de la divinité et autour d'elle, soit temporellement dans la création. C'est le cas notamment chez saint Grégoire de Nysse souvent cité a ce propos(96) oõ chez saint Cyrille d'Alexandrie qui, malgré des expressions en apparence essentialistes, s'accorde fondamentalement sur ce point avec la tradition cappadocienne(97). C'est dans une perspective semblable que É'on peut comprendre aussi les expressions apparemment filioquistes de certains Pères latins comme saint Hilaire de Poitiers, saint Ambroise de Milan et même saint Léon le Grand et saint Grégoire le Grand(98), la ligne de séparation n'étant pas, comme le pense la «Clarification» a la suite du Père Garrigues entre la tradition cappadocienne et la pensée latino-alexandrine, mais entre la tradition à laquelle appartiennent fondamentalement les Cappadociens, les Alexandrins et les Pères latins que nous avons évoqués, d'une part, et la tradition de pensée issue de Tertullien, d'Augustin puis de Thomas d'Aquin, d'autre part.

b. «L'Esprßt-Saßnt procède du Père du Fßls».

La «Clarification» propose un autre argument en faveur de la médiation du Fils dans la procession du Saint-Esprit. Cet argument, exprimé de différentes façons, revient, nous l'avons íõ, à affirmer que le Fils intervient nécessairement dans la procession du Saint-Esprit du fait que le Père, qui est la source et le principe de la procession du Saint-Esprit, est Père du Fils. Cet argument qui, avons-nous remarqué, avait déjà été présenté par Â. Bolotov (dont s'est inspiré le Ñ. Garrigues) au début de ce siècle, et s'est attiré récemment encore la sympathie de théologiens orthodoxes du courant latinophrone(99), était déjà avancé il y a bien longtemps par les défenseurs latins du Fßlioque et par leurs sympathisants grecs, comme en témoigne la réfutation qu'en fait saint Grégoire Palamas dans ses Traités apodßctiques. Remarquons tout d'abord que l'argument joue sur les mots (ou sur les concepts). Comme le montre saint Grégoire Palamas, que «Père» fasse penser à «Fils» (ou que le premier concept implique l'autre dans la pensée) n'implique pas que le Père implique le Fils en réalité quand il fait procéder l'Esprit. Comme le fait d'ailleurs remarquer le docteur hésychaste, au plan même des noms, l'appellation de «Père», si elle désigne dans un sens étroit le Père du Fils, le désigne «aussi dans un sens plus large comme Père de l'Esprit en tant que cause de celui-ci, ce que suggère l'apôtre Jacques lorsqu'il l'appelle le "Père des lumières"(Jc 1, 17)»(100), sans que cela implique pour autant que le Saint-Esprit soit engendré ni que le Père soit proprement Son Père. La propriété hypostatique du Père en tant que tel ne se limite pas à engendrer le Fils, mais est aussi de faire procéder l'Esprit. Le Père est en même temps l'engendreur du Fils et l'émetteur (ðñïâïëåýò) du Saint-Esprit. Lorsqu'ils définissent les propriétés hypostatiques des trois personnes divines, les Pères soulignent d'ailleurs que celle du Père est d'être «in engendré», et non pas d'engendrer, ce qui exclut que l'on envisage cette propriété hypostatique par rapport au Fils seulement. Él faudrait ajouter à cela les considérations de plusieurs Pères comme Denys l'Aréopagite qui soulignent le caractère apophatique de la «paternité»(101) et excluent que l'on envisage celle-ci dans un sens étroit, comme le fait la théologie latine.

On ne voit d'ailleurs pas pourquoi le fait d'être Père du Fils impliquerait pour le Père que le Fils lui fut associé (ou pour le Fils qu'il fut associé au Père) pour faire procéder l'Esprit.

En outre, le fait d'être Père du Fils n'implique pas pour le Père une relation plus étroite avec le Fils qu'avec le Saint-Esprit et ne confère pas au Fils des privilèges que l'Esprit n'aurait pas, en dehors de sa propriété hypostatique d'être engendré.

L'argument de la «Clarification» reflète la tendance traditionnelle de la doctrine latine du Filioque à valoriser la relation Père-Fils par rapport à la relation Père-Esprit(102) et à introduire ainsi un certain déséquilibre au sein de la Trinité. Él reflète aussi la tendance de cette même doctrine, qui conçoit l'ordre théologique à partir de l'ordre économique, à accorder la priorité à la génération du Fils par rapport à la procession du Saint-Esprit.

Contre la tendance d'une certaine tradition latine (qui se retrouve dans la «Clarifécation»)(103) à concevoir l'existence des personnes trinitaires selon l'ordre de leur révélation et de leur manifestation (qui est aussi l'ordre de la prière), et donc à faire du Fils un intermédiaire dans la procession du Saint-Esprit à partir du Père, les Pères grecs qui ont réfuté la doctrine latine du Filioque ont affirmé non seulement l'indépendance de ces deux ordres (théologique et économique)(104) mais É'indépendance de la génération du Fils et de Éa procession du Saint-Esprit, non seulement d'un point de vue chronologique mais d'un point de vue «logique». Ce n'est pas parce que le Fils est manifesté éternellement et dans le monde, et est cité, dans la confession de foi (le Credo) ou le signe de la Croix, après le Père et avant le Saint-Esprit qu'il est, quand à son origine, engendré avant que É'Esprit ne procède, et que l'essence divine lõi est communiquée avant qu'elle ne soit communiquée au Fils. Les Pères grecs soulignent que de même que le Fils est engendré par le Père (recevant de lui son hypostase et la nature divine) directement, immédiatement et sans intermédiaire, le Saint-Esprit procède du Père (recevant de lui son hypostase et la nature divine) directement, immédiatement et sans intermédiaire(105). Él faudrait ajouter ici tous les arguments qu'avancent les mêmes Pères pour montrer que, sur le plan théologique de l'origine des personnes, est exclue toute intervention du Fils dans Éa procession du Saint-Esprit (qui procède du Père seul quant à son hypostase et a son essence).

On pourrait objecter que cette conception introduit une dichotomie au sein de la Trinité: Père-Fils d'une part, et Père-Esprit d'autre part, qui sépare d'une certaine façon le Fils et le Saint-Esprit et semble en tout cas porter atteinte à l'union du Fils et du Saint-Esprit. Remarquons tout d'abord que la conception que défend la «Clarification» encourt elle-même une objection analogue, puisqu'elle établit une autre dichotomie: Père-Fils d'une part, et Esprit d'autre part et semble porter atteinte à l'égalité des personnes puisqu'elle confère au Fils le privilège, avec le Père, de communiquer Éa nature divine a l'Esprit, tendis que l'Esprit n'a pas la propriété de communiquer la nature divine au Fils(106). Remarquons ensuite, selon la conception orientale, que le Fils et le Saint-Esprit, bien qu'ils reçoivent parallèlement tant leur hypostase que la nature divine sont unis entre eux et au Père par leur nature qui est commune au trois, et aussi par le fait d'avoir tous deux dans le Père leur origine: nous retrouvons ici le sens de la «monarchie» particulièment chère aux Cappadociens.

Les considérations précédentes concernant la «Clarification» montrent que celle-ci reste tributaire de la quadruple confusion sur laquelle repose la doctrine latine du Filioque: 1) celle des propriétés hypostatiques avec le propriétés essentielles; 2) celles des propriétés hypostatiques entres elles; 3) celle du plan théologique et du plan, économique; 4) celle de l'essence et des énergies divines.

4. Confusion des propriétés hypostatßques et de propriétés essentielles.

L'idée de la «Clarification (reprise aõ Ñ. Garrigues) selon laquelle le Saint-Esprit recevrait la nature ou l'essence divine (ou, comme le dit la «Clarification»: «la divinité» ou «la divinité consubstantielle») du Père et du Fils ou du Père par le Fils n'échappe pas au reproche traditionnellement fait par les théologiens orthodoxes a la doctrine filioquiste de faire procéder le Saint-Esprit de l'essence divine, et de confondre ainsi les propriétés hypostatiques et les propriétes de l'essence. La «Clarification» a bien conscience de se prêter à une telle objection, puisqu'elle cite pour s'en défendre le IVe concile du Latran (1215): «La substance n'engendre pas, n'est pas engendrée, ne procède pas, mais c'est le Père qui engendre, le Fils qui est engendre, le Saint-Esprit qui procède(107)», réponse qui contourne en fait l'objection puisqu'elle évite ici de dire qui fait procéder le Saint-Esprit et de qui le Saint-Esprit procède. Quand a la précision que donne la «Clarification» elle-même sur sa propre conception: «le fait que dans la théologie latine et alexandrine le Saint-Esprit procède (ðñüåéóé) du Père et du Fils dans leur communion consubstantielle ne signifie pas que c'est l'essence ou la substance divine qui procède en lui mais qu'elle lui est communiquée a partir du Père et du Fils qui l'ont en commun», elle apparaît comme une vaine tentative pour donner, en jouant sur les mots, un aspect personnaliste a une théorie qui reste en son fond essentialiste. La théorie filioquiste n'a du reste jamais affirme explicitement que le Saint-Esprit procédait de l'essence divine, mais cela est une conséquence logique que les théologiens orthodoxes qui la réfutaient ont mise au jour. Si la «Clarification» se démarque de Éa théorie filioquiste la plus stricte, c'est en semblant reconnaître que le Saint-Esprit procède du Père seul selon l'hypostase; elle en reste a demi tributaire quand elle affirme qu'il procède du Père et du Fils selon l'essence (ou reçoit de l'un et de l'autre son essence). Rappelons que pour la théologie orthodoxe, c'est le Père seul qui fait procéder l'Esprit saint indissociablement selon l'essence (qu'il communique) et selon l'hypostase (qu'il «cause»), et que faire procéder l'Esprit, tout comme engendrer le Fils relève d'une propriété hypostatique (et non essentielle) qui appartient au Père seul. Si l'on admettait que le Père et le Fils puissent, selon l'essence, en commun faire procéder l'Esprit Saint, il n'y aurait aucune raison de ne pas admettre que le Père et le Saint-Esprit puissent ensemble engendrer le Fils selon l'essence (ou, pour utiliser le langage de la «Clarification», lui communiquer leur consubstantialité), ce qui serait évidemment une absurdité théologique(108).

5. Confusion des propriétés hypostatiques entre elles.

Lorsque la «Clarification» considère que le Saint-Esprit procède aussi du Fils, ne fut-ce que selon l'essence, elle confond les propriétés hypostatiques du Père et du Fils, puisqu'elle attribue aussi au Fils la propriété hypostatique, qui n'appartient qu'au Père, de faire procéder le Saint-Esprit. Mais cette confusion des propriétés hypostatiques implique en fait une confusion de celles-ci avec les propriétés de l'essence, car le Père et le Fils ne pourraient faire procéder l'Esprit «en commun» (communiter) ou «comme un seul principe» (tanquam ex uno princßpio) que par une propriété qui leur est commune, ce qui ne peut être qu'une propriété de l'essence. Derrière l'apparence personnaliste que prend la «Clarification» se cache donc toujours une conception essentialiste.

6. Confusion entre le plan théologique et le plan économique d'une part, et entre le plan de l'essence et le plan des énergies d'autre part.

La «Clarification», à la suite du Ñ. Garrigues, prétend appuyer son interprétation sur des formules non seulement de Pères latins, mais des Pères alexandrins, de saint Maxime le Confesseur et de saint Jean Damascène qui semblent confirmer que le Saint-Esprit reçoit la divinité consubstantielle du Père et du Fils ou du Père par le Fils(109). Les formules en questions ont la plupart pour but, comme l'admet d'ailleurs la «Clarification» d'affirmer la consubstantialité trinitaire, certaines d'entre elles visant plus précisément a affirmer la divinité du Fils face aux ariens, les autres visant à affirmer la divinité du Saint-Esprit face aux pneumatomaques. Ces formules ont un aspect essentialiste et, quand elles ne sont pas maladroites, sont pour le moins ambiguës. Néanmoins, en les replaçant dans leur contexte, il est possible de les interpréter correctement.

La «Clarification» cite cette formule de saint Cyrille d'Alexandrie: «L'Esprit procède du Père et du Fils (ðñüåéóé åê ðáôñüò êáé õéïý); il est évident qu'il est de l'essence divine (ôçò èåßáò åóôßí ïõóßáò), procédant essentiellement en elle et d'elle (ïõóéùäþò åí áõôÞ êáé åî áõôÞò ðñïúüí)»(110), prétendant trouver en elle une justification patristique d'une «communication de la divinité au Saint-Esprit à partir du Père et du Fils dans leur communion consubstantielle»(111). La «Clarification» malheureusement sépare cette formule de son contexte; il suffit de rappeler très peu celui-ci, pour s'apercevoir immédiatement que la formule de saint Cyrille s'applique au domaine de l'économie et non à celui de la théologie: «Lorsque l'Esprit Saint est envoyé en nous(112), Él nous rend conformes à Dieu, car Il vient du Père et du Fils: il est évident qu'Il est de l'essence divine, provenant essentiellement en elle et d'elle». En fait, l'Esprit désigne ici non la personne de l'Esprit, mais son don, sa grâce ou ses énergies, qui sont communiqués aux hommes du Père par le Fils,ou du Père et du Fils. Pourquoi saint Cyrille dit-il qu'il est de l'essence divine ou qu'il en provient essentiellement? Parce que la grâce ou les énergies divines sont une manifestation ou un rayonnement de l'essence divine commune. On peut trouver dans les oeuvres du patriarche d'Alexandrie de nombreuses formules semblables(113), dont l'ambiguïté suscita d'ailleurs quelques problèmes de son temps même, puisque Théodoret de Cyr craignant que Cyrille n'eut une position filioquiste lui demanda des explications; celles-ci firent apparaître la parfaite orthodoxie de Cyrille(114). Les spécialistes s'accordent aujourd'hui à reconnaître que ces formules ont un sens et une portée économique(115). Comme l'a remarqué A. De Halleux, il apparaît que dans tous les cas Cyrille s'exprime «dans une visée d'économie et non de théologie trinitaire, c'est-à-dire qu'il entend désigner ce que les scolastiques appellent les missions temporelles et non les processions éternelles»(116); «Cyrille ne théologise jamais sur l'Esprit Saint que dans un contexte sotériologique»(117), et c'est le «caractère "physique"de la sotériologie alexandrine qui explique le mieux l'étrange "essentialisme" de certaines désignations que Cyrille, prolongeant le souci athanasien de l'homoousie, aime appliquer à l'Esprit Saint, au point de paraître en confiner au second plan le caractère subsistant ou personnel»(118). Un éminent spécialise de la pensée de Cyrille, le Ñ. G.-M. De Durand note dans le même sens que, «au fond, la grande préoccupation de Cyrille est de mettre en relief le rattachement indéfectible de l'Esprit a l'essence divine», de montrer que l'Esprit est au même niveau que le Père et le Fils et ne peut être une créature; il note également que la plupart des textes du grand Alexandrin «visent à déterminer la nature de l'Esprit, non Ses relations exactes avec les autres personnes»(119).

La «Clarification» évoque aussi saint Athanase d'Alexandrie(120) et cite(121) l'un de ses textes ïu elle croit trouver une légitimation patristique de sa théorie: «De même que le Fils dit: "Tout ce qu'a le Père est a moi"(Jn 16, 15), de même nous trouverons que, par le Fils, tout cela est aussi dans l'Esprit»(122). Cette citation n'est cependant pas en mesure de jouer le rôle qu'on veut lui donner: le contexte du début de la troisième lettre a Sérapion dont elle est tirée est très clairement économique: aussi bien avant qu'après ce passage, saint Athanase se réfère aux épisodes de l'Écriture ïu le Saint-Esprit est annoncé puis donne par le Christ a ses disciples, et écrit a la fin de la section ïu figure cet extrait(123): «c'est du Fils que l'Esprit est donné è tous et ce qu'il a appartient aõ Fils». Dans la section suivante il note: «C'en serait assez pour dissuader è tout disputeur quel qu'il soit d'appeler encore créature de Dieu [l'Esprit] qui est en Dieu, qui scrute les profondeurs de Dieu, et qui, de la part du Père, est donné par l'intermédiaire du Fils»(124). Saint Athanase a ici en vue l'Esprit communiqué ou donné aux hommes en tant que grâce ou énergie, grâce ou énergie qui vient du Père par le Fils. Les paroles du Christ citées par saint Athanase: «Tout ce qu'a le Père est a moi» (Jn 16, 15), peuvent désigner soit la nature divine commune, soit les énergies qui s'y rapportent; mais lorsque saint Athanase ajoute: «de même nous trouverons que, par le Fils, tout cela est aussi dans l'Esprit», il montre qu'il a en vue les biens divins attachés è la nature divine commune qui sont communiqués comme énergies du Père, par le Fils dans l'Esprit. On pourrait rapprocher ce passage d'un autre passage de la même oeuvre, qui se situe encore plus clairement dans cette perspective économique: «Unique est la sanctification qui se fait du Père par le Fils dans l'Esprit Saint. De même que le Fils est monogène, ainsi aussi l'Esprit envoyé et donne par le Fils est unique et non multiple, ni un parmi plusieurs, mais l'Esprit unique lui-même. Puisque unique est le Fils, le Verbe vivant, unique aussi doit être son action vivante et son don parfait et complet, sanctifiant et éclairant, dont on dit qu'Él procède du Père parce qu'il rayonne, est envoyé et donne par le Fils et que nous confessons [procédant] du Père»(125).

Dans la même note où elle cite saint Athanase, Éa «Clarification» se réfère, sans le citer, à un passage du Traité du Saßnt-Esprit de Didyme l'Aveugle, prétendant qu'il «coordonne[...] le Père et le Fils par la même préposition åê dans la communication à l'Esprit Saint de la divinité consubstantielle»(126). On voit le caractère erroné de cette conclusion à la simple lecture du texte de Didyme, dont, sans aucune ambiguïté, le sens est économique et concerne les missions du Saint-Esprit dans le monde: «S'agissant de l'Esprit de vérité qui est envoyé par le Père et qui est le Paraclet, le Sauveur, qui, lui aussi, est la vérité, dit: "Il ne parlera pas de son propre chef*, c'est-à-dire sans moi et sans le gré du Père et le mien, car il ne peut être séparé de la volonté du Père ni de la mienne puisqu'il ne vient pas de lui-même, mais qu'il vient du Père et de moi, puisque le fait même qu'il subsiste et parle lui vient du Père et de moi. C'est moi qui dis la vérité, c'est-à-dire que j'inspire ce qu'il dit, étant entendu qu'il est l'Esprit de vénté»(127).

L'analyse des textes de Pères latins comme saint Hilaire de Poitiers, saint Ambroise de Milan et saint Léon le Grand, également cités par la «Clarification»(128), permet d'aboutir aux mêmes conclusions. La première citation de saint Hilaire: «Que j'obtienne ton Esprit qui est à partir de toi par ton Fils unique»(129) se situe très clairement dans un contexte économique puisqu'il s'agit de la réception de l'Esprit par le fidèle qui prie Dieu de le lui donner, ce don et cette réception se faisant du Père par le Fils. Quand a l'autre passage de saint Hilaire que cite la «Clarification» -«Si l'on croit qu'il y a une différence entre recevoir du Fils (Jn 16, 15) et procéder du Père (Jn 15, 26), il est certain que c'est une seule et même chose que de recevoir du Père et de recevoir du Fils» -, il se situe lui aussi dans un contexte économique: ce contexte évoque la réception par les hommes du Saint-Esprit en tant que grâce ou énergie, l'Esprit, qui communique ses dons ou énergies aux hommes, les recevant du Fils qui lui-même les reçoit du Père dont ils sont issus: «Pour le moment, je ne prends point en considération la liberté qui pousse certains à se demander si l'Esprit Paraclet vient du Père ou s'il vient du Fils. Le Seigneur en effet, ne nous a pas laisses dans le doute. A la suite des mots précédemment cités ["Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père, c'est lui qui me rendra témoignage"(Jn 15, 26)], Il déclare: "J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter actuellement. Lorsque viendra cet Esprit de vérité, il vous guidera vers toute la vérité. Car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu'il aura entendu et vous annoncera les réalités a venir. C'est lui qui me rendra gloire, car il recevra de mon bien pour vous le communiquer"(Jn 16, 12-15). L'Esprit envoyé par le Fils reçoit donc également du Fils, et il procède du Père. Et je te le demande: Serait-ce la même chose: recevoir du Fils et procéder du Père? Si 1'ïç voit une différence entre recevoir du Fils et procéder du Père, du moins on n'hésitera pas a croire que recevoir du Fils et recevoir du Père sont une seule et même chose. Le Seigneur lui-même le précise: "Él recevra de mon bien pour vous le communiquer. Tout ce qu'a le Père est à moi. Voilà pourquoi j'ai dit: il recevra de mon bien pour vous le communiquer". Le Fils nous en donne ici l'assurance: c'est de lui que l'Esprit reçoit ce qu'il reçoit: puissance, vertu, science. Et plus haut il nous avait laissé entendre que tout cela il l'avait reçu de Son Père. Aussi nous dit-Il que tout ce qu'a le Père est à lui, et c'est pourquoi il affirme que l'Esprit recevra de son bien. Él nous enseigne en outre que ce qui est reçu de son Père est reçu pourtant de lui, car tout ce qu'a son Père est son bien. Aucune divergence dans cette unité: ce qui est donné par le Père n'est pas différent de ce qui est reçu du Fils, et doit être considéré comme donné par le Fils»(130). On peut voir clairement dans ce passage que pour saint Hilaire:

a) L'Esprit est envoyé par le Fils et reçoit du Fils, mais procède du Père.

b) Recevoir du Fils n'équivaut pas à procéder du Père.

c) En revanche recevoir du Père et recevoir du Fils sont une seule et même chose.

d) Ce que le Saint-Esprit reçoit du Fils est la même chose que ce qu'il reçoit du Père: ce sont les biens qui s'attachent à la nature divine, qui nous sont communiqués comme dons par l'Esprit qui les reçoit du Fils qui lui-même les a reçus du Père. Ces biens, que déjà à l'époque de saint Hilaire certains Pères grecs appellent «énergies» et certains Pères latins «opérations» divines, sont plus couramment appelés, en tant qu'ils nous sont communiqués, «grâce», «charismes» ou «dons» de l'Esprit. Dans ce texte, saint Hilaire en donne comme exemple la puissance, la perfection, la science, mais quelques chapitres plus loin il les présente en détail en se référant a saint Paul (1 Co 12, 8-12) qui écrit: «Él y a diversité de dons, mais c'est le même Esprit [...], diversités d'opérations, mais c'est le même Dieu qui opère en tous» (1 Co 12, 4-7). Él est donc clair que l'on n'a pas ici affaire, comme le prétend la «Clarification» à une «communication de la consubstantialité divine selon l'ordre trinitaire» ou à une «communication de la divinité par la procession», c'est-à-dire une communication de la nature ou de l'essence divine elle-même au Saint-Esprit par le Fils à partir du Père.

La «Clarification» propose ensuite une citation de saint Ambroise de Milan qui paraît a priori plus convaincante: «Le Saint-Esprit, quand il procède du Père et du Fils, ne se sépare pas du Père, ne se sépare pas du Fils»(131). Ce texte est habituellement cité par ceux qui voient en l'évêque de Milan un partisan de la doctrine latine du Filioque. Mais il suffit de replacer ce passage dans son contexte pour voir immédiatement que saint Ambroise situe cette affirmation dans une perspective économique: «Le Saint-Esprit n'est pas envoyé comme a partir d'un lieu, ainsi que le Fils lui-même ne l'est pas quand il dit: "Je suis sorti du Père et venu dans le monde"(Jn 8, 42) [...]. Le Fils, ni quand il sort du Père, ne s'éloigne d'un lieu ou ne se sépare comme un corps se sépare d'un autre, ni, quand il est avec le Père, n'est contenu par lui comme un corps l'est par un autre. Le Saint-Esprit lui aussi, quand il procède du Père et du Fils (procedit a Patre et a FßÉiï) ne se sépare pas du Père, ne se sépare pas du Fils»(132). Saint Ambroise veut évidemment montrer ici l'unité de nature des trois personnes divines; plus précisément, il veut faire voir qu'en vertu de cette unité de nature, les trois personnes ne se séparent pas l'une de l'autre quand le Fils sort du Père pour être envoyé dans le monde, ou quand l'Esprit Saint procède ou sort du Père et du Fils en étant envoyé par le Fils de la part du Père(133).

La «Clarification» renvoie aussi à un texte de saint Léon le Grand, qui a souvent été cité par les partisans du Filioque: la troisième section de son premier sermon sur la Pentecôte(134). Ce passage mérite d'être cite et commenté. «Gardons-nous de penser, écrit Léon, que la substance divine ait apparu dans ce qui s'est alors montré à des yeux de chair. La nature divine invisible et commune au Père et au Fils a en effet montré, sous tel signe qu'elle a voulu, le caractère de son don et de son oeuvre (munerßs atque operßs sõi), mais elle a gardé dans l'intime de sa divinité ce qui est propre à sa substance: car le regard de l'homme, pas plus qu'il ne peut atteindre le Père ou le Fils, ne peut davantage voir le Saint-Esprit. Dans la Trinité divine, rien, en effet, n'est dissemblable, rien n'est inégal; tout ce qu'on peut imaginer de cette substance ne se distingue ni en puissance, ni en gloire, ni en éternité (nec virtute, nec glorßa, nec aeternitate). Encore que, dans les propriétés des personnes, autre soit le Père, autre le Fils, autre l'Esprit Saint, autre cependant n'est pas la divinité, ni diverse la nature. S'il est vrai que le Fils unique est du Père et que l'Esprit Saint est l'Esprit du Père et du Fils (siquidem cum et de Patre sßt Fßlius unigenitus, et Spiritus sanctus Patris Filiique sit spiritus), il ne l'est pas a la manière d'une créature qui serait [créature] du Père et du Fils, mais il l'est comme ayant vie et pouvoir avec l'un et avec l'autre, et comme subsistant éternellement à partir de ce qu'est le Père et le Fils (sempiterne ex eo quod est Pater Filiusque subsistens). Aussi, lorsque le Seigneur, la veille de sa Passion, promettait à ses disciples l'avènement du Saint-Esprit, il leur disait: "[...] Quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière; car il ne parlera pas de lui-même; mais tout ce qu'il entendra, il le dira, et il vous annoncera les choses a venir. Tout ce qu'a le Père est a moi. Voilà pourquoi j'ai dit: c'est de mon bien qu'il prendra pour vous en faire part"(Jn 16, 13, 15). Él n'est donc pas vrai qu'autres soient les biens du Père, autres ceux du Fils, autres ceux de l'Esprit Saint; non, tout ce qu'a le Père, le Fils l'a pareillement, et
pareillement l'Esprit Saint; jamais dans cette Trinité, une telle communion n'a fait défaut, car la, avoir tout, c'est exister toujours (semper existere). Gardons-nous donc d'imaginer là nul temps, nul degré, nulle différence; et si personne ne peut expliquer de Dieu ce qu'Il est, que personne n'ose affirmer ce qu'Il n'est pas. Il est plus excusable, en effet, de ne pas parler dignement de l'ineffable nature que d'en définir ce qui lui est contraire. Aussi tout ce que les cœurs fervents peuvent concevoir de l'éternelle et immuable gloire du Père, qu'ils le comprennent en même temps inséparablement et indifféremment et du Fils et de l'Esprit Saint. Nous confessons en effet que cette bienheureuse Trinité est un seul Dieu, parce que dans ces trois personnes il n'y a aucune différence ni de substance, ni de puissance, ni de volonté, ni d'opération (nec substantiae, nec potentßae, nec íïluntatßs, nec operatßonis est ulla dßversßtas) »(135).

On peut remarquer que dans ce passage:

a) Léon distingue très nettement le Saint-Esprit comme personne et le Saint-Esprit comme grâce ou don (ou opération, ou énergie)(136).

b) Cette grâce que le Saint-Esprit communique aux hommes est considérée comme appartenant a la nature commune aux trois personnes divines.

c) Léon distingue au début de ce texte la substance (ou l'essence) de la Divinité, qui est inconnaissable, inaccessible, incommunicable, et ce qui en est le «signe», la manifestation, et qui correspond, comme il dit, à son don et a son oeuvre (opus, que l'on pourrait encore traduire dans ce contexte par «acte» ou «activité»), ou encore à Sa «puissance (vßrtus», à sa «gloire», à son «éternité», à ce que l'on pourrait encore appeler ses «opérations» (mot utilisé par Léon lui-même) ou ses «énergies». On retrouve à la fin du texte la distinction entre la substance et la puissance, la volonté et l'opération dont Léon affirme qu'elles sont les mêmes pour les trois personnes divines(137).

d) L'affirmation que «l'Esprit est l'Esprit du Père et du Fils» ne signifie nullement que le Père et le Fils soient la cause de l'Esprit, ou que l'Esprit tienne son existence du Père et du Fils. Cette expression est très clairement mise en rapport avec ce que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ont en commun, à savoir l'essence divine et les propriétés et énergies qui lui appartiennent et qui la manifestent: Léon dit que «l'Esprit est l'Esprit du Père et du Fils [...] comme ayant vie et pouvoir avec l'un et avec l'autre et comme subsistant éternellement à partir de ce qu'est (ex eo quod est) le Père et le Fils».

e) Cette expression «subsistant éternellement à partir de ce qu'est le Père et le Fils» n'indique pas l'origine du Saint-Esprit à partir d'une cause commune constituée par le Père et le Fils ensemble en tant que personnes(138), ni même à partir de leur nature commune; elle n'indique pas non plus que, selon la théorie de la «Clarification», l'Esprit Saint recevrait du Père et du Fils son essence; mais elle affirme que l'Esprit a éternellement la même nature et donc les mêmes propriétés, la même puissance et Éa même opération ou énergie que le Père et le Fils, ce que tout le contexte de ce passage indique de plusieurs façons. On notera que subsister éternellement à partir de ce qu'est le Père et le Fils semble posé comme un équivalent d'avoir íie et pouvoir avec l'un et avec l'autre, c'est-à-dire de posséder les mêmes biens divins attachés à la même nature divine commune. Cela est confirmé par l'assimilation qui est faite plus loin entre «exister toujours» et avoir tout, «tout» désignant les «biens» divins qui sont présentés comme étant les mêmes pour le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

f) Léon rejette par avance l'interprétation filioquiste de l'affirmation du Christ: «Él prendra [ou: recevra] de ce qui est à Moi [ou: de Mon bien] pour vous en faire part», en soulignant que ce que le Christ désigne comme ce qui est à lui appartient également non seulement au Père mais au Saint-Esprit, et correspond aux biens attachés à la nature divine commune qui sont manifestés comme énergies ou opérations et communiqués comme dons du Père, par le Fils dans le Saint-Esprit.

Nous retrouvons donc chez saint Léon une conception qui s'accorde avec celle de saint Ambroise ou de saint Hilaire, et aussi avec celle de saint Athanase ou de saint Cyrille d'Alexandrie, conception qui, bien que s'exprimant comme les précédentes en termes plus essentialistes, est également en accord avec celle des autres Pères grecs.

Él nous semble en revanche que cette conception ne s'accorde pas avec celles de Tertullien et de saint Augustin dont la clarification la rapproche abusivement. Nous ne nous arrêterons pas sur la conception de Tertullien à laquelle la «Clarification», à la suite du Ñ. Garrigues, accorde une grande importance: s'il est vrai que la pensée trinitaire de Tertullien a beaucoup marqué celle de saint Augustin, on ne peut la considérer comme normative, même pour la tradition latine, pour lá raison que Tertullien a développé l'essentiel de sa triadologie dans l'Adversus Praxeam à l'époque ïù, ayant adopte l'hérésie montaniste, il se situait en dehors de l'Église. Notons seulement que si les développements de Tertullien, s'exprimant dans un vocabulaire fortement substantialiste, peuvent néanmoins pour une part se comprendre dans une perspective économique(139), leur principal défaut est de concevoir l'ordre trinitaire de l'origine des personnes sur le modèle de l'ordre économique de leur manifestation, en considérant que celui-ci reflète celui-là.

Ce dernier défaut se retrouve dans la triadologie de saint Augustin. Lors même que l'évêque d'Hippone conçoit la procession de l'Esprit dans une perspective économique, celle des missions, il considère que celle-ci correspond à la procession éternelle et la révèle(140). De là vient l'impression que l'on éprouve à la lecture des textes d'Augustin qui concernent la procession du Saint-Esprit que les perspectives économiques et théologiques sont pour lui non seulement indistinctes mais mélangées et confondues. Paraissent également confondues, au plan théologique, la procession éternelle de l'Esprit à partir du Fils avec sa manifestation éternelle par le Fils. Semblent souvent confondues aussi les propriétés hypostatiques des personnes divines avec leurs propriétés naturelles. En témoigne notamment l'affirmation bien connue, immanquablement citée par la «Clarification»(141), que l'Esprit constitue un lien d'amour entre le Père et le Fils, affirmation ïù se révèle une réduction de la personne de l'Esprit au profit d'un principe impersonnel qui relève de l'essence commune, ce que confirme par ailleurs le vocabulaire que l'évêque d'Hippone utilise le plus couramment dans ce contexte pour désigner l'Esprit: societas dilectßonis(142), unitas, caritas amborum(143), communis caritas Ñatris et Filii(144), societas Patri et Filii(145). La «Clarification» tout en signalant que la position de Thomas d'Aquin se trouve à cet égard dans la continuité de celle d'Augustin affirme sans ambages: «Cette doctrine de l'Esprit Saint comme amour a été harmonieusement assumée par saint Grégoire Palamas à l'intérieur de la théologie grecque de l'åêðüñåõóéò à partir du Père seul»(146) et cite ce passage, bien connu également, de l'archevêque de Ôhessalonique: «L'Esprit du Verbe très haut est comme un indicible amour du Père pour ce Verbe engendré indiciblement. Amour dont ce même Verbe et Fils aimé du Père use envers le Père: mais en tant qu'il a l'Esprit provenant avec lui du Père et reposant connaturellement en lui»(147). Une telle assimilation de la pensée de saint Grégoire Palamas avec celle de saint Augustin (qui fut déjà maintes fois tentée auparavant tant par les partisans latins du Filioque que par les «orthodoxes» latinophrones) est tout à fait abusive puisque saint Grégoire Palamas a en vue Éa communication de l'amour comme énergie divine qui se fait du Père par le Fils (ou du Père et du Fils) dans l'Esprit(148). Saint Augustin a quant à lui en vue la personne même de l'Esprit, dans un contexte théologique ïù sont confondus non seulement l'essence et les personnes divines, mais encore l'essence et les énergies divines. Cette distinction de l'essence et des énergies divines, formalisée par saint Grégoire Palamas mais qui était déjà présente, d'une manière plus ou moins explicite, comme nous l'avons íu, non seulement chez les Pères grecs mais chez beaucoup de Père latins, est en revanche exclue par les principes mêmes de la théologie augustinienne(149) (elle le sera également, et d'une manière plus radicale par les présupposés de la métaphysique thomiste).

On trouve par ailleurs chez Augustin une multitude d'expressions qui témoignent indubitablement d'une doctrine élaborée de la procession du Père et du Fils (Augustin utilise très souvent É'expression: procedit ab utroque) qui est très étroitement apparentée avec ce qui sera plus tard la doctrine latine du Filioque(150) et qui en est sans aucun doute l'inspiratrice directe. La triadologie de saint Augustin se distingue nettement par là de celle de Pères latins comme saint Hilaire, saint Ambroise ou même saint Léon le Grand et saint Grégoire le Grand. Cela nous donne l'occasion de redire que la ligne de démarcation entre deux traditions théologiques ne se situe pas, comme le prétend la «Clarification» à Éa suite du Ñ. Garrigues entre la tradition cappadocienne et une supposée tradition latino-alexandrine, mais entre la tradition représentée par l'ensemble des Père grecs et des Père latins orthodoxes, et une tradition qui (si É'on exclut la position marginale de Tertullien) est représentée par Augustin et ses disciples. Ce point n'a pas seulement été souligné par des patrologues orthodoxes(151), mais par un spécialiste catholique de la pensée augustinienne comme Å. Hendricks, qui n'hésite pas à écrire que «l'historien du dogme qui, venant des écrits du IVe siècle, débouche sur É'oeuvre d'Augustin» constate que «Éa ligne de rupture dans le développement synthétique de la doctrine trinitaire ne se trouve pas entre Augustin et nous, mais entre lui et ses prédécesseurs immédiats»(152).

Cela nous permet de faire retour sur le passage de l'Opuscule théologique et polémique × ( = Lettre à Ìarin de Chypre)(153) de saint Maxime le Confesseur, qui constitue le point de départ de la théorie du Ñ. Garrigues et que cite la «Clarification» en considérant qu'il «articule ensemble les deux approches -cappadocienne et latino-alexandrine- de l'origine éternelle de l'Esprit: le Père est le seul principe sans principe (en grec áéôßá) du Fils et de l'Esprit; le Père et le Fils sont source consubstantielle de la procession (ôï ðñïúÝíáé) de ce même Åsñrit»(154). Nous avons montré dans une étude détaillée le caractère erroné de cette interprétation(155). Pour resituer le texte de Maxime dans son contexte, rappelons que le pape Théodore Ieô avait écrit dans ses Lettres synodiques(156) que «l'Esprit procède aussi du Fils (åêðïñåýåóèáé êáê ôïõ õéïý ôï ðíåõìá ôï Üãéïí)»; cette affirmation avait attiré la critique de quelques théologiens byzantins. Maxime avait alors pris la défense du pape Théodore et des théologiens de son entourage et, s'appuyant sur des justifications qu'eux-mêmes avaient fournies pour faire face aux attaques dont ils étaient l'objet, avait montré qu'ils entendaient cette expression dans un sens orthodoxe: «Sur la procession, ils [les Romains] ont amené les témoignages des Père latins, en plus, bien sur, de saint Cyrille d'Alexandrie dans l'étude sacrée qu'il fit sur l'Évangile de saint Jean. A partir de ceux-ci ils ont montré qu'eux-mêmes ne font pas du Fils la Cause (áéôßá) de l'Esprit -ils savent, en effet, que le Père est la Cause unique du Fils et de l'Esprit, de l'un par génération, de l'autre par procession (åêðüñåõóéò)- mais ils ont expliqué que celui-ci provient (ðñïúÝíáé) à travers le Fils et montré ainsi la connexion et la non-différence de l'essence. [...] Voilà donc ce qu'ont répondu [ceux de Rome] au sujet des choses dont on les accuse sans raison valable. [...] Cependant, suivant ta requête, j'ai prié les Romains de traduire les [formules] qui leur sont propres afin d'éviter les obscurités des points qui s'y rattachent. Mais la coutume de rédiger et d'envoyer ainsi [les Lettres synodiques] ayant été suivie, je me demande si jamais ils y accéderont. Par ailleurs il y a le fait de ne pouvoir exprimer sa pensée dans d'autres mots et dans une autre langue comme dans les siens, difficulté que nous rencontrons nous aussi. En tout cas, ayant fait l'experience d'être accusés, ils viendront à s'en soucier»(157).

Maxime n'entend nullement concilier ici, comme le prétend la «Clarification» à la suite du Père Garrigues, une tradition cappadocienne qui soulignerait que le Saint-Esprit procède ou a son ekporèse (åêðïñåýåóèáé) du Père seul quant à son hypostase, ou encore a le Père comme seule origine et cause de son existence personnelle, et une tradition latino-alexandrine qui soulignerait qu'il provient (ðñïúÝíáé) ïõ procède (procedit) du Père et du Fils quant à sa nature (ou reçoit du Père et du Fils sa consubstantialité). Maxime veut montrer que É'affirmation que «le Saint-Esprit procède du Père et du Fils» est inacceptable si l'on entend par là que le Fils aussi serait la cause du Saint-Esprit car le Père seul est sa cause; mais qu'elle est en revanche acceptable si l'on entend par la que le Saint-Esprit sort ou vient par le Fils que ce soit 1) dans le monde ïu il est envoyé et communiqué comme grâce ou don, 2) «autour de l'essence» divine ïù il rayonne comme énergie, comme lumière ou comme gloire, ou 3) au sein même de Éa divinité ïù il est communiqué comme énergie du Père par le Fils, du Père dans le Fils, ou du Père et du Fils. C'est surtout le premier de ces trois sens (que l'on appelle «économique», et qui concerne les «missions» du Saint-Esprit) qu'ont en vue les Pères tant latins que grecs lorsqu'ils évoquent la procession ou la sortie du Saint-Esprit du Père par le Fils (voire du Père et du Fils), bien qu'ils évoquent parfois en des termes divers, les deuxième et troisième sens(158). Nous avons cependant montré que saint Augustin constituait parmi eux une exception notable et qu'il n'était pas inclus parmi les Pères latins que Maxime évoquait dans le passage cite, sa triadologie ne répondant pas au critère de recevabilité que Maxime propose, tendis que les triadologies de saint Hilaire de Poitiers, de saint Ambroise de Milan, de saint Léon le Grand, ou de saint Grégoire le Grand y répondent de même que celle de saint Cyrille d'Alexandrie(159). La formule du pape Théodore Ier et des théologiens de son entourage est selon Maxime à comprendre dans le même sens et ne se situe pas sur le terrain de la théologie augustinienne(160). Cette position témoigne qu'à l'époque de Maxime la triadologie augustinienne ne s'était pas encore imposée en Occident et que subsistait à côté d'elle dans l'Église latine jusqu'au plus haut niveau, un courant théologique non augustinien en accord profond avec la tradition orthodoxe commune des Pères grecs et latins, qui excluait que le «Filioque» ou les expressions analogues fussent compris dans un sens théologique se rapportant à l'origine du Saint-Esprit dans son hypostase ou dans son essence.

L'expression utilisée par Maxime -l'Esprit Saint «provient (ðñïúÝíáé) à travers [ou par] le Fils»- pour reformuler et résumer la position acceptable du pape Théodore Éer dans la ligne de la tradition des Pères grecs et latins a été d'ailleurs comprise dans un sens économique non seulement par ses commentateurs byzantins (comme saint Nil Cabasilas) mais par des commentateurs latins comme Anastase le Bibliothécaire (qui fut le secrétaire et le conseiller des papes Nicolas le Ier, Hadrien II et Jean VII et qui joua un rôle important dans la politique de l'Église romaine lors de l'affaire photienne). Celui-ci écrit: «Saint Maxime fait comprendre que les Grecs nous accusent faussement, car nous ne disons pas que le Fils est cause ou principe de l'Esprit Saint, comme ils le prétendent, mais prenant en considération l'unité de substance du Père et du Fils, nous reconnaissons qu'il procède du Fils, comme du Père, mais en comprenant certainement le mot "procession" dans le sens de "mission" (mßssionem nimirum processionem ßntelligentes): saint Maxime traduit pieusement et engage ceux qui connaissent les deux langues à la paix, car il est évident qu'il nous enseigne à nous, comme aux Grecs, que le Saint-Esprit d'une certaine manière procède du Fils et d'une autre manière n'en procède pas (secundum -quiddam procedere, secundum quiddam non procedere Spiritum Sanctum ex Filio), en montrant la difficulté de traduire d'une langue è une autre sa propriété(161)».

Si à partir de ces textes qui l'évoquent on revient à la question du vocabulaire, on voit comment la distinction entre l'åêðüñåõóéò et le ðñïúÝíáé ne correspond ni pour le pape Théodore Ier (qui a donné de sa formule une explication dont Maxime a eu connaissance), ni pour Maxime ni pour son commentateur latin Anastase, à l'ekporèse selon l'hypostase et au procedere de la théologie filioquiste (même entendu sous la forme souple que met en avant la «Clarification» d'une communication de la .divinité, du Père et du Fils au Saint-Esprit) qui seraient prétendument conciliés par Maxime. Maxime n'entend pas non plus affirmer par là l'équivalent du «Filioque» de la doctrine filioquiste latine (déjà représentée par Augustin) et du äéÜ ôïõ õéïý des Pères grecs.

Les deux expressions, celle du pape Théodore Ier («l'Esprit procède aussi du Fils [åêðïñåýåóèáé êáê ôïõ õéïý ôo ðíåýìá ôï Üãéïí])» et celle dans laquelle Maxime la reformule (le Saint-Esprit «provient [ðñïúÝíáé] à travers (ou par] le Fils») ont toutes les deux en vue la «procession» ou la «sortie» du Saint-Esprit, entendue dans un sens économique, du Père par le Fils. Ce qui a choqué les théologiens byzantins qui ont protesté contre la formulation du pape, c'est l'usage du verbe åêðïñåýåóèáé réservé généralement en grec (mais non systématiquement, nous l'avons íu) au sens proprement théologique de la procession alors que le verbe latin procedere est utilisé couramment dans les deux sens, théologique et économique. Les théologiens byzantins ont peut-être aussi été choqués par l'usage de l'expression «et aussi du Fils» moins courante parmi les théologiens grecs que l'expression «par le Fils» (mais également acceptable si elle est entendue dans un contexte économique, comme n'hésiteront pas à l'admettre, ultérieurement, saint Photius et saint Grégoire Palamas).

Mais pourquoi alors, si le verbe åêðïñåýåóèáé était parfois utilisé en grec pour désigner la procession dans un sens économique, les théologiens byzantins se sont-ils indignés de la formule du pape Théodore Ier? On peut incriminer un manque de culture, mais la raison la plus probable est que ces théologiens, qui étaient gagnés à l'hérésie monothélite, visaient à déconsidérer l'Église de Rome qui était alors la seule à défendre la foi orthodoxe, et aussi à priver Maxime (qui était leur principal adversaire) de son principal soutien. Maxime s'étonne d'ailleurs de leur réaction (sur le plan théologique, mais non sur le plan «politique») et les présente comme «des chercheurs de prétextes(162)».

Nous pouvons donc constater par cet autre biais que la théorie linguistique mise au point par le Ñ. Garrigues (sur la base d'une fausse compréhension de ce texte de Maxime) et sur laquelle la «Clarification» fonde pour une grande part sa position, est irrecevable.

Él reste cependant un point à débattre: Maxime note que le pape Théodore Ier et les théologiens de son entourage, en affirmant que le Saint-Esprit procède aussi du Fils «ont íoulu manifester le fait (pour l'Esprit] de sortir par lui (le Fils) (ôï äé'áõôïý ðñïúÝíáé) et établir par là la connexion et la non-différence de l'essence (ôo óõíáöÝò ôçò ïõóßáò êáé áðáñÜëëáêôïí)». S'il a en vue la procession (ou sortie, ou manifestation) du Saint-Esprit dans l'ordre économique, comment peut-il utiliser cette dernière expression, de caractère essentialiste? Celle-ci ne se réfère-t-elle pas à ce qui se passe in divinis, et ne concerne-t-elle pas nécessairement l'essence divine elle-même? On peut répondre que pour les Pères orthodoxes -les Pères cappadociens ont beaucoup insisté là-dessus dans le cadre de leur réfutation des positions d'Eunome, mais Denys l'Areopagite encore plus, et Maxime est sur ce point leur héritier- l'essence divine en elle-même est inconnaissable et ce qui concerne Dieu nous est révélé par les énergies divines. Les énergies divines qui rayonnent éternellement comme gloire ou qui nous sont communiquées comme grâce de Dieu, à partir du Père, par le Fils, dans le Saint-Esprit, se rapportent à l'essence commune aux trois personnes divines. Une est l'énergie du Père du Fils et du Saint-Esprit parce que une est leur essence. Puisque les énergies se rapportent à la nature, il n'y a pas des énergies propres au Père, des énergies propres au Fils et des énergies propres au Saint-Esprit, mais ce sont le mêmes énergies qui ont le Père comme source, sont communiquées au Fils, et du Père par le Fils, ou du Père et du Fils, au Saint-Esprit. Cette communication révèle ainsi, comme le dit saint Maxime, «la connexion et la non-différence [ou, pour adopter une autre traduction: l'unité et l'identité] de l'essence». Les Pères qui ont íoulõ montrer, contre les pneumatomaques, que le Saint-Esprit lui aussi est Dieu, ont tout simplement montré que toutes les énergies communes au Père et au Fils, le Saint-Esprit devait lui aussi les avoir, en commun avec eux et par nature; de même que les Pères qui avaient íïõlõ montrer, contre les ariens, que le Fils est Dieu, avaient montré qu'il Ü toutes énergies du Père, en commun avec lui et par nature.

 



Notes

1 «Le sens de la procession du Saint-Esprit dans la tradition latine du premier millénaire», Contacts, 23, 1971, p. 283-309; «Procession et ekporèse du Saint-Esprit», Istina, 1972/3-4, p. 345-366 (reprend et développe l'article précédent); «Point de vue catholique sur la situation actuelle du problème du Filioque», dans L. Visher (éd), La théologie du Saint-Esprit dans le dialogue entre l'Orßent et l'Occßdent (Document Foi et Constitution n° 103), Paris, 1981, p. 165-178; «Réflexions d'un théologien catholique sur le «Filioque», dans Le ÉÉe concile œcuménique, Sßgnßfication et actualité pour le monde chrétien d'aujouôd'hõi, Chambésy-Genève, 1982, p. 289-298. Ces trois demiers articles sont repris dans L Esprit qõi «Père!» et le problème du Filioque, Paris, 1981, avec un article qui les précédait et ébauchait déjè leur thèse centrale: «Théologie et monarchie, L'entrée dans le mystère du "sein du Père"», Istßna, 15, 1970, p. 435-465.

2 Voir Ìoine Çilarion, «La question du Filioque et de la procession du Saint-Esprit», Messager de É'exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale, 75-76, 1971, p. 171-178;

3 «Ne manquons pas aux bienséances pour des querelles de mots», Messager de É' exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale, 75-76, 1971, p. 179-190. ï. Clément écrivait notamment «Je tiens ce jeune moine pour un génie théologique»; «en ce qui concerne son article sur le Filioque, oui, a quelques détails près, je suis d'accord» (p. 187-188).

4 «Grégoire de Chypre, "De l'ekporèse du Saint-Esprit"», p. 443- 456.

5 Voir L.Ouspenssky , «Quelques remarques à propos d'articles récents sur la procession du Saint-Esprit», Bõlletin orthodoxe, Nouvelle série, 5-7, 1973; Ìoine Çilariïn, «Reflexions d'un moine orthodoxe à propos d'un "Dossier sur Éa procession du Saint-Esprit", publié récemment», Messager de É'exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale, 81-82, 1973, p. 8-34; Hiéromoine Athanase Jevtitch, «Introduction à la théologie du Saint-Esprit chez les Pères Cappadociens», Messager de l'exarchat du Patrßarche russe en Europe occidentale, 83-84, 1973, p. 145-161; Archiprêtre V . Ñalachkïísky , «La controverse preumatologique», Messager de l'exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale, 85-88, 1974, p. 71-98; Archimandrite Ámphilïchiïs Radïíitch , «Le Filioque et l'énergie incréée de la Sainte Trinité selon la doctrine de saint Grégoire Palamas», Messager de É'exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale, 89-90, 1975, p. 11-44; «Le mystère de Éa Sainte-Trinité selon saint Grégoire Palamas», Messager de É'exarchat du Patriarche russe en Europe occßdentale, 91-92, 1975, p. 159-170.

6 Voir «Du personnalisme en pneumatologie», Revue théologique de Louvain, 6, 1975, p. 3-30, repris dans Patrologie et œcuménisme, Louvain, 1990, p. 396-423.

7 Él s' agit de l'article du Moine Hilarion cité à la note 5.

8 «Du personnalisme en pneumatologie», p. 19 (412).

9 «On retrouve tout l'essentiel des recherches du Père Garrigues dans la note du 13 septembre» («Liminaire», Contacts, 48, p. 3).

10. Contacts, 48, 1996, p.3.

11 Ibid., p.2.

12 Notamment ceux de Bari, 1098 (Mansi, t. 20, col. 947-952); du Latôan, 1215 (Denzinger 800, 805); de Lyon, 1274 (Denzinger 850); de Florence, 1439 (Denzinger 1300-1301).

13 «Clarification», p. 94lb.

14 «Vers une vision commune du Mystère trinitaire», p. 89.

15 Ainsi, lorsque, au plus fort de la polémique sur le Filioque, certains théologiens latins accusaient les Grecs d'avoir enlevé le «Filioque» du Symbole de foi.

16 «Réflexions d'un théologien catholique sur le Filioque», p. 168. Souligné par nous.

17 De Trßnitate, XV, 25 PL 42, 1094-1095.

18 «Le Saint-Esprit, écrit Augustin, procède principellement [principaliter] du Père et, par le don intemporel de celui-ci au Fils, du Père et, le don intemporel de celui-åi au Fils, du Père et du Fils en communion [communier]» (ibid). Saint Augustin explique le Saint-Esprit procède du Père; mais il ajoute que «le Père a accordé au Fils que le Saint-Esprit procède de lui comme il procède de lui-même» (Tract. in lo., XCIX, 9, PL 35, 1890 = De Ôrin., XV, 27,48 PL 42,1095; voir aussi De Ôrin., XV, 26,47, PL 42, 1094-1095; XV, 1729, PL 42, 1081; Ôract. in lo., XCIX, 8, PL 35, 1890).

19 Traités apodictiques, É, 7-8, 11, 23, 28, 32-34, 37. Le texte grec figure dans le tome 1 de l'édition Ñ. Christïu , Suggrammata, Thessalonique, 1988. Él a été traduit en français sous le titre Traités apodßctiques sur procession du Saint-Esprit, Éditions de l'Ancre [diffusion Cerf] Paris, 1995. Grégoire évitait l'ambiguïté de la première formule latine en précisant que «l'Esprit Saint procède du Père seul directement et sans médiation (ðñïóå÷þò êáé áìÝóùò) » (Traités apodéctiques, É, 7, éd. Christïu , p. 34).

20 Denzinger 1331.

21 La «Clarification» citera elle même plus loin passage du Catéchisme de É' Église catholique qui, peu après avoir affirmé «le caractère d'origine première du Père par rapport à l'Esprit», affirme que «celui-ci tire son origine du Père par le Fils» («Clarßfication», p. 943b; Catéchisme § 248).

22 C'est ainsi que les défenseurs latins du Filioque avaient l'habitude d'interpréter les affirmations des Pères orientaux que «le Père est la seule cause» du Saint-Esprit (voir J. Grégoire, «La relation éternelle de l'Esprit au Fils d'après les écrits de Jean de Damas», Revue d'histoire ecclésßastique, 64, 1969, p. 717).

23 Â. de Margerie, «L'Esprit qui dit "Père"» Orientalia christiana periodica, 49, 1983, p. 162. L'idée d'une compatibilité, aux yeux de la théologie catholique romaine, entre le Filioque et l'affirmation que le Saint-Esprit procède du Père seul est également développée par le même auteur dans un autre article: «L'Esprit vient du Père par le Fils. Réflexions sur le monopartisme catholique», Orientalia christiana periodßca, 60, 1994, p. 337-362. Pour ce théologien, la finalité du dialogue œcuménique et d'amener les orthodoxes à souscrire aux définitions du concile de Florence (voir «L'Esprit qui dit "Père"», p. 156-157, 161).

24 Somme théologique, É.36.2.1, cité par Â. de Margerie, «L'Esprit qui dit "Père"», p. 162-163.

25 Cité dans son introduction par la Documentation catholique, n° 2125, (n°) 5 novembre 1995, p. 941.

26 Voir p. 942b.

27 A savoir le articles du Ñ.Garrigues, qui a significativement reproduit ce texte dans le livre ïù il les a ressemblés (L'Esprit qui dit «Père» et le problème du Filioque, Paris, 1981, p.117-125).

28 «Instruction pastorale de l'épiscopat catholique de Grèce», Les Quatre fleuves, 9, 1979,p. 75-78.

29 Cités à la note 1.

30 Loc. cit., p. 76-78.

31 «Clarification», p. 94lb.

32 Ibid., ñ. 942a.

33 Ibid., p. 942b.

34 Nous ã reviendrons ci-dessous.

35 «Clarification», p. 942b.

36 Ibid., p. 943b; Catechßsme § 248.

37 «Clarification», p. 942a.

38 Ibßd., p. 942b-943a.

39 Ibid., p. 943a. La «Clarification» cite ici un passage de saint Cyrille lui paraissant aller dans ce sens (Thesaurus, PG 75, 585Á).

40 «Clarification», p. 943a.

41 Ibid., L'expression figurait déjà dans le Catéchisme de l'Église catholique (§ 248) et de multiples fois dans le aôtieles du Ñ. Garrigues.

42 «Clarification», p. 943a.

43 Ibßd.

44 Th. Ñïl, X=Lettre à Marin de Chypre, PG 91,136ÁÂ.

45 «Clarification, p. 943b. Denziger 805.

46 «Clarification, p. 943b. Denziger 850.

47 «Clarification, p. 943b. Denziger 804.

48 «Clarification», p. 943b; Catéchisme 248.

49 Le cardinal íon Schönborn, actuellement archevêque de Vienne est en effet, avec le cardinal Ratzinger (bien connu au sein du catholicisme comme un rigoureux gardien du dogme), le principal rédacteur du Catéchisme de l'Église catholique. Rappelons que C. íonïç Schönborn fut, a l'Institut catholique de Paris, le disciple du Père J: Ì. Le Guillou et le condisciple du Père J: Ì. Garrigues.

50 Comme Á . de Çalleux , «Du personnalisme en pneumatologie», Revue théologique de Louvain, 6, 1975, p. 3-30.

51 Voir J.- Ì . Garôigues «Point de vue catholique sur la situation actuelle du problème du Filioque», p. 165-178.

52 Comme Ï . Clément , à en juger par les modifications apportées a la section intitulée «Le problème du Filioque» dans l'édition de 1991 de L'Église orthodoxe, p. 55-77. Voir aussi Â. Âïbrinskïy, Le mystère de Éa Trinßté, Paris, 1986, p. 305.

53 Comme le note le Ñ. Â . Âïbrinskïy , «Vers une vision commune du Mystère Trinitaire», p. 89.

54 «Point de vue catholique sur la situation actuelle du problème du Filioque», p. 167 s.; «Réflexions d'un theologien catholique sur le Fßlioque.», p. 293 s.

55 Que le maîtôe du Ñ. Garôigues, le Ñ. J-M. Le Guillou a remises en lumière, dans une perspective qui n'était évidemment pas innocente, en les plaçant en tête du dossier sur le Filioque qu'il a constitué pour la revue Istina, 17, 1972, p. 271-272. Le passage concerné des «Thèses» est cité par J.-Ì . Garrigões, «Point de vue catholique sur la situation actuelle du problème du Filioque», p. 167-168. Dans son rappel des principaux contributeurs au débat sur le Filioque depuis le début du siècle, le Ñ. Á. De Halleux présente Â. Bolotov comme le principal représentant du «courant unioniste» russe («Du personnalisme en pneumatologie», p. 4 [397], n. 3).

56 «Clarification», p. 944a.

57 Dans le commentaire qu'il fait de la «Clarification», J. -Ì. Garrigues souligne d'ailleurs l'accord de cet argument avec la conception de saint Augustin, d'une part, et avec les définitions des conciles de Lyon II et de Florence, d'autre part («La Clarification sur la procession du Saint-Esprit et l'enseignement du concile de Florence», Irénikon, 68, 1995, p. 503).

58 Voir J. -Ì . Garrigões , «Reflexions d' un théologien sur le Filioque», p. 289-298.

59 «Clarification», p. 944a.

60 Ibid. Souligné par nous.

61 Ibid.

62 La «Clarification» donne une citation de saint Jean Damascène p. 944a.

63 «La Clarification sur la procession du Saint-Esprit et l'enseignement du concile de Florence», p. 501-506.

64 «Clarification», p. 944a.

65 Ibid.

66 Ibid.

67 Ibid., p. 944b.

68 Th. Ñïl., ×, PG, 91, 133D-136c.

69 Voir infra et le long commentaire que nous fait du texte de Maxime dans notre livre Maxime le Confesseur, médiateur entre l'Orßent et l'Occßdent, Paris, 1998, chapitre 2: «La question du Filßoque».

70 «Du personnalisme en pneumatologie», p. 20.

71 Par exemple saint Jean Damascène utilise åêðïñåýåóèáé pour signifier la venue du Saint-Esprit à partir du Père par le Fils dans un sens économique (De fide orth., I, 12, PTS 12, p. 36), de même que saint Maxime le Confesseur (Thal., LXII, PG 90, 672C, CCSG 22, p. 155). Le mot peut avoir un sens beaucoup plus large encore comme le souligne saint Grégoire Palamas en citant des passages de l'écriture ïù il est utilisé dans les sens les plus variés (Traités apodictiques, II, 73-74).

72 Ainsi non seulement saint Cyrille d' Alexandrie dit tenir ðñï÷åßóèáé pour un équivalent de åêðïñåõåóèáé (Åp., IV, PG 77, 316D), mais saint Grégoire de Nazianze utilise ðñïúÝíáé pour dire que le Saint-Esprit tient du Père seul son existence personnelle (Disc.,XX, 11, SC 270, p. 78; ×××, 19, SC 250, p. 266; ×××É×, 12, SC 3589, p. 174), de même que saint Cyrille d' Alexandrie (Éïc. cit.).

73 «Du personnalisme en pneumatologie», p. 22.

74 Le mystère du Père, Paris, 1973, p. 59-130. Voir Á . De Çalleõx , «Du personnalisme en pneumatologie», p.23: «Le Ñ. Garrigues semble devoir son appréciation péjorative de la théologie cappadocienne au Ñ. Le Guillou, lui-même inspriré en partie par la thèse du Ñ. Á. Malet sur saint Thomas d'Aquin».

75 On peut se demander cependant dans quelle mesure la triadologie de Tertullien, élaborée pour l'essentiel durant sa période montaniste, a pour la tradition latine elle-même une valeur normative.

76 Voir notre livre Maxime le Confesseur, médiateur entre l'Orient et I'Occßdent, Paris, 1998, chapitre 2: «La question du Filßoque».

77 Voir ßbid. Signalons que la critique moderne a établi que Éa Lettre de Léon le Grand à Turribius d'Astroga (Denzinger 284), régulièrement citée par les partisans du Fßlßoque (et par Éa «Clarification») comme une référence patristique majeure a été composée par un faussaire après le concile de Braga (563) (íïir Á. Êustle , AntiñriséßÉÉßana, Fribourg 1905, p. 126, signalé et admis par l'introduction de Denzinger 284).

78 Voir par exemple saint Jean Damascène , De fßde orthodoxa, É, 8, PG 94, 817-820, PTS 12, p. 24: «seul le Saint-Esprit, procédant de l'essence dur Père, n'est pas engendré mais procède (ìüíïí ôï ðíåõìá ôï Üãéïí åêðïñåõôüí åê ôçò ïõóßáò ôïõ ðáôñüò ïõ ãåííþìåíïí áëë' åêðïñåõüìåíïí).»

79 Maxime le Confesseur, Th. Pol., XXXIII, PG 91, 264Á. Jean Damascène, De fide oôth., ÉÉÉ, 9, PG 94, 1016-1017, PTS 12 p. 128.

80 On peut encore noter à ce propos ce que dit V. Lïssky: «Si les personnes existent, c'est justement parce qu'elles ont la nature; leur procession même consiste à recevoir Éa nature du Père» (Théologie mystique de l'Église d'Ïrient, Paris, 1944, p. 61).

81 Chez saint Basile de Césarée, Åp., XXXVIII, 4, éd. Courtonne, t. É, p. 85.

82 Voir par exemple Grégïire de Íazianze , Dßsc., XX, 7, SC 270, p.70;XXI, 14, SC 250, p. 302-304.

83 Ainsi saint Jean Damascène écrit: «Le Père a l'être par lui-même et il ne tient d'un autre rien de ce qu'il a. Au contraire, il est la source et le principe pour tous de leur nature et de leur manière d'être. [...] Donc tout ce qu'ont le Fils et l'Esprit et leur être même, ils le tiennent du Père» (De fide orth., É, 8, PTS 12, p. 26).

84 Saint Ìarc d'Éphèse, ayant sans doute en vue une théorie analogue è celle du Ñ. Garrigues et de la «Clarifécation» avancée par les Latins de son époque, avait pris soin de préciser: «Ce n'est pas du Fils que É'Esprit Saint tire Son existence ni qu'il recoit Son être (ïõê Üñá åê ôïõ Õéïý õöÝóôçêåí ïõäÝ ôï åßíáé Ý÷åé ôï Ðíåýìá ôï Üãéïí)», le premier terme se référant à l'hypostase et le second a l'essence (Conf. fédei, É, PO XVII, p. 438 [300]).

85 De Spir. Sanct., XVIII, 45, SC 17bis, p.408.

86 Thal., LXIII, PG 90, 672C, CCSG 22, p.155.

87 Dial. contr. Manich., 5, PG 94, 1512Â, PTS 22, p. 354.

88 De fßde orth., É, 12, PG 94, 848D-849A, ÑÔ'S 12, p. 36.

89 De Spir. Sanct., XVIII, 46, SC 17bis, p. 408.

90 «Point de vue catholique sur Éa situation actuelle du problème du Fßlioque», p. 170-171.

91 Que nous avons commentés dans notre étude: Maxßme le Confesseur, médßateur entre l'Orßent et l'Occident, chapitre 2: «La question du Filioque».

92 Thal., LXII, PG 90, 672C-D CCSG 22, p. 155.

93 On trouvera un commentaire détaillé de ce texte et des autres textes de Ìaxime sur le même sujet dans notre étude: Maxime le Confesseur, médiateur entre É'Orient et l'Occßdent, chapitre 2: «La question du Filioque».

94 Voir notre article: «Nature et fonction de la théologie négative selon Denys l'Aréopagite», Le Messager orthodoxe, 116, 1991, p. 4-7.

95 Dial. contr. Manich., 5 PG 94, 1510C-1512A, PTS 22, p. 354.

96 Voir Á . D e Çalleux , «"Manifesté par le Fils". Aux origines d'une formule pneumatologique», Revue théologique de Louvain, 20, 1989, p. 3-31, repris dans Á . de Çalleux , Patrologie et oecuménisme, Leuven, 1990, p. 338-366.

97 Voir Á. De Çalleux , «Gyrille, Ôhéodoret et le Filioque», Revue d'histoire ecclésiastique, 74, 1979, p. 597-625.

98 Comme nous l'avons montré dans notre étude: Maxßme le Confesseur, médiateur entre É'Orient et É'Occident, chapitre 2: «La question du Filioque».

99 Ainsi les théologiens de toutes confessions réunis a Klingenthal (23-27 mai 1979) à l'initiative de la commission «Foi et Constitution» du C.O.E., ont officiellement adopté l'idée, fortement soutenue par le Ñ. Garrigues dans la communication qu'il a présentée lors de cette réunion, que «l'Esprit procède du Père qui engendre le Fils». Se référant à cette réunion, O. Clément note: «Un accord semble possible par le rapport des relations toujours uni-trinitaires en Dieu, c'est-à-dire par l'affirmation que l'Esprit procède du Père du Fils» (L'Église orthodoxe, Paris, 1991, p. 57).

100 Traités apodictiques, É, 21, éd. Chrèstou, Suggrammata, t. 1, p. 50.

101 Ñseudï-Denãs , De divinis nominibõs, II, 8, PG 3, 645C.

102 Ce reproche était déjà fait aux Latins par Nil Cabasilas, Sur la procession du Saint-Esprit É, 33.

103 «Clarification», p. 944a

104 Voir notamment le longues démonstrations de saint Grégoire Palamas, Traités apodictiques, É, 23, 26, 28, 32-37.

105 Cela est souligné et démontré maintes fois, contre les positions latines, par Grégïire Ñalamas, Traßtés apodßctiques, É, 7, 8, 11, 18, 23, 26, 28, 32, 33, 37; II, 20, 50, 52, 55, 56, 70, 75, 76, 81. Grégoire se réfère aux enseignements de Pères grecs qui l'ont précédé, rappelant notamment cette remarque de saint Grégoire de Nysse: en ce qui concerne les personnes humaines, «les causes sont nombreuses et différentes», mais «il n'en va pas de même en ce qui concerne la Sainte Trinité. Car il y a une seule et même personne, celle du Père, de laquelle le Fils est engendré et dont l'Esprßt procède» (Ad Graecos, Ex communßbus notßonibus, PG 45, 180BC, GNO III, 1, p.25).

106 Cette objection s'applique plus encore à la conception filioquiste la plus stricte selon laquelle le Saint-Esprit recevrait du Père et du Fils ensemble, non seulement Éa nature divine mais son hypostase.

107 «Clarification»,p. 943b.

108 Ce qui retient la théologie latine de tirer une telle conséquence est qu'elle considère l'ordre: Père-Fils-Saint-Esprit comme un ordre d'origine des personnes (et non comme la théologie orthodoxe, de leur manifestation) devant être absolument respecté.

109
 «Clarification», p. 942b-943a.

110 Thesaurus, PG 75, 585Á.

111 «Clarification», p. 943a.

112 Souligné par nous.

113 Nous en avons cité et commenté un certain nombre dans notre étude Maxime le Confesseur, médiateur entre l'Orient et I'Occident, Paris, 1998, chapitre 2: «La question du Fßlioque».

114 Voir l'excellente étude de Á . De Çalleux , «Cyrille, Théodoret et le Fßliïque Revue d'histoire eclesiastique, 74, 1979, p. 597-625.

115 Nous rejoignons leur avis dans les commentaires des textes de Cyrille que nous proposons dans notre étude Maxßme le Confesseur, médiateur entre É'Orient et É'Occident, Paris, 1998, chapitre 2: «La question du Fßlioque».

116 Á . De Çalleux, «Cyrille, Théodoret et le Fßlioque», p. 614; voir le détail de l'argumentation p. 614-617. Voir aussi J. Ìeyendïrff , «La procession du Saint-Esprit chez les Pères orientaux», Russie et chrétienté, 2, 1950, p.164-165. Cyrille va jusqu'à comprendre l'ekporèse elle-même dans un sens économique (cf. Á . De Çalleux, op. cßt., p. 615).

117 Á . De Çalleux, op. cit., p. 614. Cette interprétation confirme celle de J . Meyendorff, op. cit, p. 164-165.

118 Á. De Halleux, op. cit., p. 616.

119 Introduction è Cyrille d'Alexandrie, Dialogues sur la Ôrinité, t. 1, SC 231, p. 66.

120 Ñ. 943a

121 Note 4, p. 945a.

122 Lettres à Sérapion, III, 1, PG 26, 625Â.

123 624C-628A.

124 Lettres à Sérapion, III, 2, PG 26, 628Á Souligné par nous.

125 Ibid., É, 20, PG 26, 577C-580Á.

126 Note 4, p. 945á.

127 Traité du Saint-Esprit, 153, PG 34, 106Á, SC 386, p. 284-286.

128 Note 2, p. 944b-945a.

129 De Trinitate, XII, PL 10, 471.

130 Ébßd., VIII, 20, PL 10, 250C-252Á.

131 De Spiritu Sancto, É, 11, 120, PL 16, 733Á/62D.

132
Ibid, 11, 120, PL 16, 762C-763A.

133 La signification «économique» de ce passage est honnêtement reconnue par Th. Camelot qui se montre pourtant un fervent partisan de la doctrine latine du Filioque («La tradition latine sur la procession du Saint-Espnt "a Filio" ou "ab utroque"», p.185).

134 Álias Serm., 62 (LXXV), 3, SC 74, p. 146-147.

135 Serm., 62 (LXXV), 3, SC 74, p. 146-147.

136 Cette distinction se retrouve très nettement dans le sermon suivant ïu Léon écrit: «le cinquantième jour après la résurrection du Seigneur, le dixième après son ascension, le Saint-Esprit promis et espéré fut répandu sur les disciples du Christ. [...] Que les dons divins se répandent donc dans tous les cœurs» (Serm., 63 (LXXVI), 1 SC 74, p. 149). Voir aussi ibßd., 4, p. 151: «Les bienheureux apôtres eux-mêmes, avant la Passion du Seigneur n'étaient pas privés du Saint-Esprit, pas plus que la puissance de cette vertu n'était absente des oeuvres du Sauveur».

137 Voir aussi Serm., 63 (LXXVI), 1, SC 74, p. 149: «L'immuable divinité de cette bienheureuse Trinité est une dans sa substance, indivisée dans son action (ßndßvisa in opere), unanime dans sa volonté, pareille dans sa puissance, égale dans sa gloire». Cf ßbid., 3,p.151.

138 «Ex eo quod» indique très clairement l'essence ou ce qui s'y rapporte, et non pas les personnes comme voudrait le laisser supposer le traducteur de l'édition des Souôces chrétßennes, dans l'intention probable de favoriser un interprétation filioquiste, en traduisant inexactement: «à partir de ce qõi est le Père et le Fils» (loc. cit.,p. 146).

139 Ce que reconnaît J. - Ì. Garrigões , «Procession et ekporèse du Saint-Esprit», p. 356.

140 Citons à titôe d'exemple cette remarque caractéristique que lorsque le Christ soufflait sur ses Apôtres en leur disant «Recevez l'Esprit Saint", «Él montrait ouvertement ce qu'il donnait par Sa spiration dans le secret de la vie divine» (Cont. Ìax., XIV, 1, PL 42, 770).

141 «Clarification», p. 944.

142 De Ôrin., IV, 9,12, PL 42, 896.

143 Ibid., VI, 5, 7, PL 42, 928.

144 Serm., LXXI, 12, 18, PL 38, 454.

145 Ibid., 20, 33, PL 38, 463-464.

146 «Clarification» p. 945b, note 11.

147 Capßta physica, XXXVI, PG 150, 1144D-1145A.

148 Vïir le commentaire détaillé de cette formule palamite par Mgr Ámphilïchiïs Radïíitch , «Saint Grégoire Palamas et la doctrine du Fßlioque», Le Messager orthodoxe, 110, 1989, p. 76-79.

149 Voir J . Rïmanidis , Franks, Romans, Feudalism and Doctrine, Brookline, 1981, p. 60-98.

150 Voir parmi les textes les plus connus: De Ôrin., V, 14, PL 42, 921; XV 17, 29 PL 42, 1081; 26,47, PL 42, 1094-1095; Tract. ßn Éï., XCIX, 8, PL 35, 1890 ; 67, PL 35, 1888-1889; Contr. Ìax., II, ×IV, 1, PL 42, 770-771.

151 Voiô notamment J. Rïmanidis , Franks, Romans, Feudalism and Doctrßne, p. 60-98.

152 Introduction à Oeuvres de saint Augustin, 15, La Trinité, Paris 1955, p. 22.

153 Texte cité à la note 37.

154 «Clarification», p. 943a.

155 Maxßme le Confesseur, médiateur entre l'Orient et É'Ïccident, Chapitre 1: «La question du Fßléoque».

156 Profession de foi traditionnellement envoyée par le pape et les patriarches à leurs pairs lors de leur élection.

157 Th. Pol., × = Lettre à Marin de Chypre, PG 91, 136ÁÂ.

158 Voir notre étude: Maxßme le confesseur, médiateur entre l Orient et É'Occident, chapitre 2: «La question du Filioque».

159 Ibßd.

160 Comme le remarque le Ñ. Ñlacide Deseille , «Saint Augustin et le Filioque», Messager de l exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale, 109-112, 1982, p. 68-69.

161 Ad Éo. diac., PL 129, 560-56lÁ.

162 Th. Ñïl., ×, PG 91, 136Â.